(Lesbos) Elle ne fait plus la une des grands médias comme en 2015, mais la « crise » des réfugiés qui touche la Grèce n’est pas pour autant terminée. À Lesbos, certaines ONG redoutent maintenant une détérioration de la situation après les élections du 21 mai alors que le gouvernement sortant est partisan d’une ligne dure en matière migratoire.

« Traités comme des prisonniers »

« Parfois, je pense au suicide parce que je ne vois pas de raison de rester en vie. Rien ne va ici. Le temps passe et je suis toujours au même endroit », explique, les larmes aux yeux, Adama (prénom d’emprunt), qui préfère rester anonyme par peur de représailles dans son processus d’asile. Arrivée à Lesbos il y a près de quatre ans, cette Camerounaise tente de s’accrocher tant bien que mal à son rêve européen.

« La vie n’a pas été facile depuis mon départ du Cameroun. Si j’avais su avant les conditions de vie dans lesquelles je me trouve maintenant, je n’aurais jamais accepté de partir. Je ne peux pas conseiller à quelqu’un de venir ici », confie-t-elle en tremblant, éprouvée par tout ce qu’elle traverse.

En 2019, elle quitte son pays à bord d’un vol vers la Turquie. Là-bas, elle est en contact avec des passeurs qui lui font miroiter une vie meilleure en Grèce, pays qu’elle rejoindra, lui disent-ils, via le métro. En pleine nuit, elle se retrouve finalement au bord de l’eau, avec des dizaines d’autres personnes, face à un petit bateau pneumatique. « J’avais tellement peur, car je touchais l’eau et je ne savais même pas nager. »

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Le camp Mavrovouni, dans l’île de Lesbos, a été construit après l’incendie du camp Moria.

Depuis, sa vie se résume à une attente interminable dans le camp temporaire de Mavrovouni, mis en place après l’incendie qui, en 2020, avait fait partir en fumée le camp Moria, le plus grand d’Europe.

Situé au bord des eaux turquoise, Mavrovouni n’a pourtant rien d’un paradis. Surveillance et contrôle des entrées et sorties font partie du quotidien des résidants. Une situation qui inquiète les ONG, qui accusent les autorités d’aggraver des traumatismes déjà bien présents chez les demandeurs d’asile.

« En enfermant les gens dans un camp, nous voyons les problèmes de santé mentale augmenter. Nous observons beaucoup d’anxiété, de dépression, de stress post-traumatiques et nous avons même certains cas de suicide ou de personnes qui se mutilent », explique Malen Garmendia Gomez, responsable de l’aide en santé mentale et psychosociale au sein de l’ONG Intersos Hellas.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Liza Papadimitriou, de l’ONG Lesvos Solidarity

« Les gens sont maintenant traités comme des prisonniers ici », déplore de son côté Liza Papadimitriou, assise dans le jardin de l’ONG Lesvos Solidarity, où elle travaille. Devant elle, des collègues et bénévoles s’activent. Ils ramènent ce qu’il reste d’un bateau pneumatique de migrants qui s’est échoué la veille. « Ils nous disent que la crise des réfugiés est finie », dit à la blague une employée qui ramène des dizaines de gilets de sauvetage que l’ONG transformera en sacs.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Entre autres initiatives, l’ONG Lesvos Solidarity transforme les gilets de sauvetage en sacs.

Lesbos est devenu en 2015 le symbole de cette crise des réfugiés qui a déferlé sur l’Europe. Cette année-là, en pleine guerre en Syrie, plus de 850 000 réfugiés ont débarqué en Grèce, notamment dans les îles en mer Égée, qui se situent à proximité de la Turquie. Depuis, les arrivées ont considérablement diminué, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en recense plus de 4000 depuis le début de l’année en Grèce, mais elles n’ont jamais cessé.

En revanche, les politiques migratoires de la Grèce et de l’Union européenne se sont renforcées : criminalisation de l’aide humanitaire, refoulements violents de migrants communément appelés « pushbacks », construction de camps de plus en plus fermés et contrôlés… « Tous les efforts ont été mis sur la sécurité et non pas pour le respect des droits des personnes. […] Les réfugiés sont maintenant abandonnés dans une détresse totale », constate Liza Papadimitriou, ajoutant que les locaux n’osent maintenant même plus donner de l’eau ou des habits aux demandeurs d’asile par peur d’être accusés de complicité.

PHOTO YARA NARDI, ARCHIVES REUTERS

Des ONG déplorent le renforcement des politiques migratoires en Grèce qui mettent davantage l’accent sur la sécurité que sur le bien-être des réfugiés.

Un nouveau camp qui suscite l’inquiétude 

À Lesbos, l’avenir est rempli d’inquiétudes. D’abord, avec la guerre en Ukraine qui se poursuit et qui rend plus difficile la récolte de fonds pour les ONG. Ensuite, avec la possibilité de voir une nouvelle vague de réfugiés déferler à la suite du séisme en Turquie et en Syrie. Mais surtout, avec la construction d’un nouveau camp isolé au cœur des montagnes et de la forêt.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Un nouveau camp pour réfugiés est en construction à Lesbos, au cœur des montagnes et de la forêt.

C’est tellement loin de toute zone urbaine. […] Ça sera comme une prison », s’inquiète Liza Papadimitriou, qui rappelle que la zone choisie pour ce camp est propice aux incendies et difficile d’accès.

« On parle de la protection de l’environnement et on a la création de ce camp au milieu d’une zone protégée, ajoute Liza Papadimitriou. C’est tellement ironique ! »

La Commission européenne – qui finance le projet controversé – explique que ce sont les autorités grecques qui ont choisi cet emplacement. Ces dernières n’ont pas répondu à nos questions.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Malen Garmendia Gomez, responsable de l’aide en santé mentale et psychosociale au sein de l’ONG Intersos Hellas

« Ils veulent seulement cacher le problème. Mais ce n’est pas une solution à long terme ! Nous sommes très préoccupés par les impacts que ce nouveau camp aura sur les demandeurs d’asile, mais aussi sur les ONG », dit de son côté Malen Garmendia Gomez.

Liza Papadimitriou craint que les politiques migratoires se durcissent encore plus après les élections. « Malheureusement, si on donne carte blanche au gouvernement sortant, la situation deviendra encore pire. De plus, s’il n’y a pas de changement des politiques européennes, je ne vois pas comment la situation pourrait changer en Grèce. »

L’avenir est aussi incertain pour Adama. Elle essaye d’imaginer à quoi pourrait ressembler sa vie si elle obtient le droit de rester en Europe. Elle voudrait travailler et avoir son propre appartement. Mais d’ici là, elle redoute aussi le nouveau camp. Une situation qui lui donne parfois envie de tout abandonner pour retourner dans son pays d’origine.

Des élections remplies d’incertitudes

L’enjeu migratoire ne sera pas la question de l’urne lors des élections du 21 mai en Grèce, estime la politologue Filippa Chatzistavrou. Toutefois, le gouvernement sortant pourrait être tenté de miser sur la question de la sécurité des frontières, comme il l’a fait dans les dernières années.

PHOTO SAKIS MITROLIDIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis touche le mur d’acier à la frontière entre la Grèce et la Turquie dont il souhaite doubler la taille.

« On déshumanise complètement le sujet maintenant, fait remarquer Mme Chatzistavrou. On parle des frontières comme d’un enjeu de sécurité et non pas comme une politique censée ne pas mettre en danger les gens qui traversent ou se déplacent. »

Le premier ministre sortant conservateur, Kyriakos Mitsotakis, qui sollicite un nouveau mandat de quatre ans, veut, par exemple, doubler la taille d’un mur à la frontière terrestre avec la Turquie. Son principal adversaire n’est nul autre que l’ancien premier ministre grec de gauche radicale Alexis Tsipras (2015-2019).

PHOTO ALEXANDROS AVRAMIDIS, ARCHIVES REUTERS

L’ancien premier ministre de gauche Alexis Tsipras et le premier ministre conservateur sortant Kyriakos Mitsotakis lors d’un débat télévisé, le 10 mai

Alors qu’il était très largement en tête dans les sondages, le parti du premier ministre sortant, Nouvelle Démocratie, accuse une baisse des intentions de vote depuis la tragédie ferroviaire du 28 février dernier, qui a fait 57 morts et suscité une importante vague de colère dans le pays.

« Ça se peut qu’il y ait des surprises. Il y a une partie de l’électorat qui n’est vraiment pas décidée et il y a aussi beaucoup de gens qui sont en colère », croit Filippa Chatzistavrou, qui juge que ce ne sont pas des élections normales, en raison des différents scandales qui ont éclaboussé le gouvernement au cours des dernières années.

Le plus important est sans doute celui des écoutes téléphoniques illégales de politiques et journalistes par le renseignement grec. Un scandale qualifié de « Watergate » grec qui a fait les manchettes l’an dernier et fragilisé le premier ministre.

Crise économique

À cela il faut aussi ajouter la situation économique du pays qui reste fragile, alors que beaucoup de Grecs ressentent encore les effets de la crise économique et ont du mal à joindre les deux bouts. C’est particulièrement le cas pour les jeunes de moins de 25 ans qui font face à un taux de chômage qui frôle les 30 %, le taux le plus élevé de l’Union européenne (en Allemagne, il est de 5,7 %).

La situation économique de la Grèce ne s’est pas améliorée, au contraire elle a empiré. La dette augmente, le chômage n’a pas baissé, la qualité des conditions de travail a empiré et la pauvreté n’a pas reculé.

Filippa Chatzistavrou, de l’Université d’Athènes

Une réforme de la loi électorale, supprimant la prime de 50 sièges au Parlement pour le parti arrivant en tête, pourrait aussi compliquer les chances du gouvernement sortant d’obtenir une majorité à l’issue du vote du 21 mai. Ce qui ouvre la porte à un gouvernement de coalition ou, hypothèse plus probable selon les analystes, à un second tour au début du mois de juillet.