(Varsovie) Des centaines d’Ukrainiens se pressent devant un bureau des passeports à Varsovie, fermé mercredi, en colère après la décision de Kyiv de suspendre les services consulaires pour les hommes expatriés en âge de combattre.  

La veille, les autorités ukrainiennes ont annoncé qu’elles empêcheraient « temporairement » les hommes âgés de 18 à 60 ans et se trouvant à l’étranger d’accéder aux services consulaires. Alors que Kyiv cherche à mobiliser davantage de soldats face à l’armée russe, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a jugé injuste la situation des hommes partis à l’étranger quand leurs compatriotes meurent sur le front.

En Pologne, terre d’accueil de centaines de milliers d’Ukrainiens - des réfugiés arrivés depuis l’invasion russe, mais aussi des expatriés vivant depuis longtemps dans le pays - la colère monte chez ceux qui se sentent injustement visés.

« Il s’agit d’une lutte contre ceux qui fuient l’armée », dit Maksym, un chauffeur de camion de 38 ans, venu chercher ses papiers.

« On ne nous demande pas pour quelles raisons nous sommes partis à l’étranger… Pourquoi serais-je un réfractaire (à l’armée) si je suis parti légalement ? », confie-t-il à l’AFP.

Certains ont passé la nuit à faire la queue devant les guichets fermés du bureau de délivrance des papiers, qui évoque une fermeture pour « erreur technique » sans parler d’une nouvelle directive de Kyiv.

« Obligés d’y passer »

« L’État m’a placé dans une situation sans issue », estime l’homme d’affaires Pavlo Liachenko, 35 ans.  Il raconte à l’AFP avoir reçu un texto annonçant que son passeport était prêt, mais il craint désormais qu’on le lui refuse.  

Une dispute éclate : des femmes accusent un groupe d’hommes de bloquer l’entrée et de les empêcher de déposer leurs demandes.  

La foule grossissant, il est fait appel par précaution à la police polonaise, qui se limite à discuter avec les personnes faisant la queue.

Diana Petrenko, directrice adjointe du bureau, assure auprès de l’AFP que « les documents ne sont pas délivrés pour des raisons techniques », mais elle refuse de détailler la nature exacte du problème.

Kyiv avait assuré mardi que la suspension de la délivrance de papiers ne s’appliquait qu’aux nouvelles demandes.

Mercredi, l’ambassadeur ukrainien en Pologne, Vassyl Zvarytch, a confirmé à l’AFP que toutes les demandes reçues avant le 23 avril seraient traitées.

M. Liachenko, qui est parti à l’étranger bien avant le début de la guerre, n’est néanmoins pas rassuré.  

« Je pense que notre État pousse simplement les gens à en arriver au point où nous serons tous obligés d’y passer », estime-t-il.  

Hormis quelques exceptions, la majorité des hommes n’ont plus le droit de quitter l’Ukraine depuis l’invasion russe.

Selon les médias ukrainiens, des centaines de milliers d’hommes en âge de travailler ont toutefois bénéficié d’une protection temporaire dans les pays de l’UE depuis le début de la guerre.

« Devoir envers la patrie »

Cette suspension des services consulaires, qui intervient plus de deux ans après l’invasion russe et au moment où Kyiv peine à recruter pour le front, est largement vue comme une mesure pour forcer les hommes à revenir au pays.  

Kyiv a récemment adopté une loi controversée sur la mobilisation militaire, destinée à faciliter l’enrôlement dans l’armée et à davantage sanctionner les réfractaires, et a abaissé de 27 à 25 ans l’âge minimal des recrues.

« Le séjour à l’étranger ne dispense pas un citoyen de ses devoirs envers la patrie », a déclaré M. Kouleba mardi.  

Selon son ministère, la suspension des services consulaires constitue une mesure temporaire, nécessaire pour « résoudre des problèmes techniques » liés à la mise en œuvre de la nouvelle loi.  

Bogdan, un chauffeur de camion ukrainien qui refuse de divulguer son nom de famille, explique être bloqué pour la deuxième journée consécutive devant le bureau des passeports à Varsovie.  

« J’ai fait 700 kilomètres pour obtenir mon passeport parce que j’avais reçu un texto m’indiquant que je pouvais venir le chercher », se plaint le jeune homme de 27 ans.  

« On ne nous donne pas notre passeport. Quelles seront les prochaines étapes ? », s’inquiète-t-il.