Des dizaines de milliers de Portugais ont célébré jeudi le 50anniversaire de la révolution des Œillets, dans un climat politique aigre-doux.

Ce qu’il faut savoir

Des milliers de personnes ont célébré jeudi le 50anniversaire de la révolution des Œillets.

Cet évènement historique a profondément changé la face du pays, notamment en jetant les bases de la démocratie actuelle.

L’extrême droite, en hausse, minimise son importance, tandis que la jeunesse tend à tourner la page.

Rosa Vieira se souviendra toujours du 25 avril 1974.

Il y avait déjà eu des rumeurs, un vague vent de changement. Mais quand elle a allumé la radio en pleine nuit, elle a compris que la révolution avait commencé.

« Ce n’était pas la programmation normale », raconte Mme Vieira, 82 ans.

Prudente, la dame a passé les heures suivantes chez elle, devant le transistor. Quand le jour s’est levé et qu’il est devenu clair que le coup d’État avait réussi, elle a fait comme tout le monde : avec sa fille et son voisin qui avait une voiture, elle est allée faire la fête dans les rues de Lisbonne.

« On a été partout. On criait, on chantait, on a pris d’assaut toutes les fleuristes et on a acheté tous les œillets du Portugal. C’était formidable ! Un des plus beaux souvenirs de ma vie », raconte cette ancienne militante communiste.

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Bouquets d’œillets à la main, des Portugais sont rassemblés dans le centre de Lisbonne le 1er mai 1974, six jours après la chute de la dictature.

Un demi-siècle plus tard, cette journée mémorable ne résonne pas seulement dans la mémoire de Rosa Vieira.

Jeudi, des dizaines de milliers de Portugais sont descendus dans la rue en chantant l’emblématique Grândola, vila morena, pour marquer le cinquantenaire de la révolution des Œillets menée par de jeunes officiers intermédiaires, qui a permis au Portugal de renverser la plus vieille dictature d’Europe et de jeter les bases de sa démocratie actuelle.

D’ex-putschistes ont notamment défilé dans les rues de la capitale sur leurs anciens blindés, tandis qu’on reproduisait les moments clés de cet évènement historique, qui a la particularité de s’être déroulé la fleur au fusil, sans effusion de sang ou presque, les militaires ayant été rapidement rejoints par une population en liesse et décorés par les vendeuses d’œillets, devenus la fleur-symbole de cette revolução printanière.

Un mythe qui s’estompe

Le coup d’État du 25 avril 1974 a provoqué l’effondrement du sinistre Estado novo (État nouveau) mis en place par António Salazar 48 ans plus tôt, et entraîné l’indépendance des colonies que le Portugal possédait encore en Afrique, dont l’Angola, le Mozambique et la Guinée-Bissau.

Il a aussi ouvert la voie à une transition démocratique exemplaire. Après de premières élections en 1975, puis l’adoption de la Constitution en 1976, le pays va rejoindre la communauté européenne en 1986 et combler peu à peu le retard économique accumulé pendant un demi-siècle de noirceur.

Cinquante ans plus tard, la révolution des Œillets reste fondamentale pour le Portugal moderne et fait globalement figure de consensus au sein de la société et de la classe politique. « Pour les Portugais, c’est le jour où on a retrouvé la liberté », résume tout simplement l’historien Yves Léonard, auteur du livre Sous les œillets, la révolution.

L’expert note cependant que le mythe autour de cet évènement tend à s’affaiblir, alors que les souvenirs s’estompent et qu’on assiste à une résurgence de l’extrême droite au Portugal, chose que l’on n’aurait jamais crue possible il y a encore quelques années.

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Un discours est prononcé dans la place Rossio de Lisbonne sous l’œil d’un soldat du Mouvement des Forces armées, le 1er mai 1974.

En témoigne la montée du parti Chega, qui vient de remporter 50 sièges aux élections législatives du mois de mars, s’imposant ainsi comme la troisième force politique du pays, avec un discours de droite radicale et réactionnaire, parfois hostile au 25-Avril. « Pour eux, c’est un évènement porté par les forces gauchistes… qui a ébranlé l’ordre social et bradé l’empire… C’est tout ce qui n’est pas bon », résume Yves Léonard.

Selon l’historien, ce discours décomplexé a carrément réveillé des voix critiques de la révolution, qui jusque-là n’osaient « pas trop » s’exprimer. « C’est une parole qui se banalise », dit-il.

Cette « banalisation » pourrait même s’accentuer, souligne l’historien, alors que le temps passe et que la jeunesse portugaise tend à tourner la page.

Là on arrive à des générations qui ignorent tout du passé salazariste, qui ignorent largement ce qu’a été le 25-Avril, ne savent pas concrètement ce que ça signifie.

Yves Léonard, historien

Signe des temps : 25 % des 18-35 ans auraient voté pour le parti Chega aux dernières législatives, conquis en partie par le discours de la formation sur les réseaux sociaux.

Il ne faudrait pourtant pas oublier, conclut Rosa Vieira, en évoquant les droits acquis après le 25 avril 1974.

« Le Portugal d’aujourd’hui n’a rien à voir avec cette époque. Les gens râlent. Mais les gens qui ont connu la situation d’avant savent que c’est cinquante fois mieux maintenant. Même si ça ne va pas toujours tout à fait bien, j’espère vraiment qu’on ne fera pas marche arrière… »