Le président équatorien, Guillermo Lasso, qui était à couteaux tirés avec le Parlement depuis des mois, a décidé de recourir aux grands moyens pour dénouer la crise.

Ce qu’il faut savoir

Le président équatorien Guillermo Lasso, qui faisait face à un procès en destitution en raison de son rôle allégué dans une affaire de corruption, a coupé court au processus en annonçant la dissolution du Parlement.

Le mécanisme utilisé précipite du même coup la fin de son mandat à la tête du pays, qui devra procéder dans les prochains mois à de nouvelles élections législatives et présidentielle.

Bien qu’ils aient protesté contre la décision du politicien, les principaux partis de l’opposition sont susceptibles de s’en accommoder puisqu’ils pensent être en mesure d’accroître leur poids politique grâce aux élections.

Le dirigeant conservateur a annoncé mardi la dissolution de l’Assemblée nationale alors qu’il faisait face à un processus de destitution susceptible de précipiter sa chute.

Il avait plaidé plus tôt dans la journée devant les élus qu’il n’avait rien à se reprocher dans une affaire alléguée de corruption touchant un contrat public de transport pétrolier.

Le mécanisme constitutionnel évoqué pour la dissolution, dit de « mort croisée », a aussi pour effet de couper court au mandat de l’impopulaire chef d’État, qui pourra gérer le pays par décret sous le contrôle de la Cour constitutionnelle jusqu’à ce que de nouvelles élections législatives et présidentielle soient tenues.

Le président Guillermo Lasso a affirmé lors d’une intervention sur la chaîne de télévision nationale que sa décision était « démocratique » parce qu’elle donnerait à la population la possibilité de décider de la suite des choses.

Les principaux partis de l’opposition ont accusé le président de mener un « coup d’État » avec l’aide de l’armée et de la police, qui ont déployé des soldats autour de l’Assemblée nationale pour assurer sa fermeture et éviter les troubles.

PHOTO RODRIGO BUENDIA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Policiers montant la garde devant l'Assemblée nationale, mercredi

Le commandant conjoint des forces armées équatoriennes, le général Nelson Proano, a indiqué dans une déclaration relayée par l’Agence France-Presse que les militaires et la police « maintiendraient inaltérablement leur posture de respect absolu envers la Constitution ».

Sebastian Hurtado, analyste politique établi dans la capitale, Quito, a déclaré que la tenue forcée de nouvelles élections était l’aboutissement prévisible de l’affrontement politique à la tête du pays.

Guillermo Lasso, dit-il, a dû faire face dès son élection il y a deux ans à un Parlement dominé par des forces de centre et de gauche lui assurant des lendemains difficiles.

Le principal parti de l’opposition, rattaché à l’ex-président Rafael Correa, avait déjà cherché à le destituer à deux reprises sans obtenir les appuis requis et semblait enfin en position d’atteindre son objectif lorsque le président a décidé d’ordonner la dissolution.

Bien que ses dirigeants aient dénoncé la manœuvre, M. Hurtado ne s’attend pas à ce que le camp de l’ancien chef d’État cherche à perturber le processus électoral à venir puisque ses partisans s’attendent à accroître leur poids dans le prochain Parlement.

Des protestations plus vigoureuses pourraient venir de la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE), qui avait organisé une série de manifestations l’année dernière pour contrer les politiques économiques « délétères » adoptées par le gouvernement Lasso. Ils exigeaient notamment que l’État réduise les prix du diesel et de l’essence et plafonne les prix des produits de première nécessité.

M. Hurtado note qu’il n’est pas impossible que la CONAIE décide d’organiser de nouvelles manifestations dans la foulée de la dissolution du Parlement.

Il ne s’attend pas cependant à ce qu’elles durent longtemps si le processus électoral suit rapidement son cours puisque l’organisation pense aussi être en bonne position pour faire des gains politiques.

Difficultés économiques

Guillermo Lasso a vu sa popularité chuter considérablement depuis son arrivée au pouvoir en raison notamment des difficultés économiques vécues par la population.

Le pays, qui a reçu le soutien du Fonds monétaire international, se porte bien sur le plan macroéconomique comparativement à plusieurs pays de la région.

Une partie importante de la population, durement affectée par la pandémie de COVID-19, s’alarme cependant de la détérioration des services sociaux et tient le gouvernement responsable de la situation.

La hausse de la criminalité qui touche certaines régions liées au trafic de la drogue alimente aussi la grogne populaire.

Les ressources utilisées pour contrer les trafiquants limitent le nombre de policiers disponibles pour faire face à la criminalité courante, ce qui alimente le sentiment d’insécurité de la population.

Sebastian Hurtado, analyste politique établi à Quito

Le pays d’Amérique du Sud a vu se succéder trois présidents dans la période allant de 1997 à 2005 à la suite de mouvements de protestation d’envergure dans lesquels les populations indigènes ont joué un rôle central.

Rafael Correa a dirigé le pays de 2007 à 2017 avant de s’établir avec sa conjointe en Belgique, qui lui a accordé le statut de réfugié. Il se dit victime d’une vendetta politique ayant mené en 2020 à sa condamnation à huit ans de prison pour corruption.

M. Hurtado note que son parti cherchera éventuellement à le réhabiliter, mais tentera d’abord de remporter l’élection présidentielle en présentant un nouveau candidat.

« Il y aura plusieurs étapes à franchir avant qu’il ne puisse revenir au pays », souligne l’analyste.