Malgré les difficultés rencontrées, le gouvernement britannique se dit déterminé à aller de l’avant avec l’expulsion vers le Rwanda de migrants arrivés de manière irrégulière sur son territoire. Le Parlement a adopté lundi un projet de loi musclé qui vise à restreindre la capacité d’intervention des tribunaux à intervenir dans le processus.

Un projet miné dès le départ

Le Parti conservateur avait marqué les esprits en annonçant en 2022 la conclusion d’une entente prévoyant le transfert au Rwanda de demandeurs d’asile arrivés sur le sol britannique par la Manche à bord d’embarcations pneumatiques. Le projet, censé décourager ce type d’expédition, a été rapidement freiné par les tribunaux. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a bloqué in extremis le départ du premier avion avant que la Cour suprême reconnaisse en 2023 le caractère illégal de la loi. Le plus haut tribunal du pays a statué que les personnes se voyant refuser le statut de réfugié par Kigali risquaient d’être refoulées vers leur pays d’origine, contrevenant aux engagements britanniques en la matière.

Une nouvelle tentative

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Le président du Rwanda, Paul Kagame, et le premier ministre du Royaume-Uni, Rishi Sunak, lors d’une rencontre au 10 Downing Street à Londres, le 9 avril dernier

Plutôt que de renoncer à son projet, le gouvernement est retourné à la table à dessin et a concocté un nouveau projet de loi qui identifie officiellement le Rwanda comme un pays sécuritaire pour l’envoi de demandeurs d’asile. Il ordonne aux fonctionnaires et aux juges britanniques d’écarter toute tentative de blocage des transferts forcés reposant sur l’évocation du risque de refoulement des migrants vers leur pays d’origine. La déclaration du Parlement repose notamment sur un nouvel accord devant permettre au régime du président rwandais Paul Kagame de renforcer les mécanismes de prise en charge des demandes d’asile dans le pays.

Sunak exulte, l’ONU s’inquiète

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Le premier ministre Rishi Sunak se rendant lundi à une conférence de presse concernant l’expulsion vers le Rwanda de migrants arrivés de manière irrégulière au Royaume-Uni

Le premier ministre Rishi Sunak et le ministre de l’Intérieur, James Cleverly, ont indiqué que l’adoption de la loi permettrait d’éviter que des migrants utilisent de « fausses allégations d’abus » pour demeurer sur le sol britannique. « J’ai promis d’ouvrir la voie pour permettre le départ du premier avion. C’est ce que nous avons fait », a indiqué M. Cleverly. Les Nations unies se sont inquiétées parallèlement de la stratégie britannique. Dans une analyse parue en janvier, le Haut Commissariat pour les réfugiés avait déjà prévenu que les réformes promises par le Rwanda mettraient des années à se concrétiser et ne permettraient pas dans l’intervalle de répondre aux normes internationales en matière de prise en charge des demandes d’asile.

La séparation des pouvoirs bafouée

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Un navire des forces frontalières britanniques transporte des migrants secourus en mer lors de leur tentative de traversée de la Manche à partir de la France, en janvier dernier.

François Crépeau, ex-rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants, estime que le nouveau projet de loi viole la séparation des pouvoirs judiciaire et législatif en cherchant à imposer aux tribunaux britanniques l’obligation de reconnaître le Rwanda comme un pays sécuritaire. « Dire aux juges de ne pas se mêler de la question est inconcevable », souligne-t-il. Chris Law, juriste anglais très critique des politiques d’immigration du gouvernement, note que le gouvernement « suspend » avec son initiative l’application de certains articles de loi formalisant les engagements internationaux du Royaume-Uni en matière de droit d’asile et pourrait s’avérer difficile à contrer.

Droits de la personne

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La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, en France

Les deux spécialistes s’entendent pour dire que la Cour européenne des droits de l’homme risque fort, à terme, de fustiger le projet de loi. Le texte adopté par le Parlement britannique prévoit cependant que le ministre responsable pourra décider s’il est nécessaire de respecter une injonction temporaire du tribunal européen bloquant l’envoi de migrants vers le Rwanda. « C’est la disposition juridique la plus dramatique que j’ai vue en matière de droits de la personne de ma carrière », note M. Law, qui reproche à Rishi Sunak de vouloir réviser des engagements internationaux cruciaux du Royaume-Uni « pour des raisons bassement politiques ».

Un objectif électoral ?

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Une embarcation pneumatique ayant transporté des personnes, probablement des migrants, à travers la Manche, est déchargé d’un navire de soutien des forces frontalières britanniques dans le port de Douvres, en janvier dernier.

Chris Law est convaincu que l’entêtement du gouvernement conservateur relativement à son projet rwandais découle de la conviction qu’il pourra se refaire une santé dans les sondages avant les élections prévues cette année en adoptant la ligne dure sur l’immigration. En 2023, près de 30 000 migrants ont rejoint les côtes anglaises à bord d’embarcations de fortune. « Je suis certain qu’ils vont déclencher des élections après avoir réussi à faire partir les premiers avions », relève l’avocat. François Crépeau note que l’utilisation de cette population vulnérable à des fins politiques n’a rien d’original. « Les politiques migratoires sont faites par des non-migrants à l’attention de non-migrants », ironise-t-il.