(Ottawa) Justin Trudeau insiste : les informations colligées par le SCRS sur la campagne de Pékin visant Michael Chong et des membres de sa famille ne se sont jamais rendues à lui. Il a toutefois donné peu de détails sur les raisons de ce cafouillage, que deux de ses anciens ministres ont dénoncé.

Le premier ministre a préféré se tourner vers l’avenir plutôt que de revenir sur ce qui avait pu se produire au sein de la haute fonction publique, ou encore les raisons pour lesquelles il avait affirmé que le rapport produit en juillet 2021 par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’était « pas sorti » de l’agence.

« J’ai partagé l’information la plus exacte que j’avais à ce moment, tant à Michael Chong qu’aux Canadiens », a plaidé le premier ministre lors d’un point de presse en marge du congrès national libéral. Invité à expliquer de qui il tenait ces renseignements, il a dit ne pas vouloir « entrer dans les détails ».

Dans les faits, le document a été transmis au conseiller à la sécurité nationale du premier ministre, à certains ministères, de même qu’au Bureau du conseil privé, a expliqué à Michael Chong l’actuelle conseillère à la sécurité nationale, Jody Thomas.

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Michael Chong

L’apathie de la machine gouvernementale fédérale à d’aussi hauts échelons a été déplorée par deux anciens ministres libéraux, John McCallum – aussi ex-ambassadeur du Canada à Pékin –, mais surtout par l’ancienne ministre de l’Environnement, Catherine McKenna.

« Qu’un tas de gens à Ottawa aient su que la famille du député Chong était visée par les Chinois, aient décidé de ne pas lui dire et qu’il n’y ait apparemment eu aucune conséquence est épouvantable […] mais pas étonnant si j’en crois mon expérience. Soyons sérieux », a regretté Mme McKenna sur Twitter.

« Entièrement d’accord », a renchéri son ancien collègue John McCallum.

« Nous sommes en contrôle »

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a refusé de dire si des responsables gouvernementaux avaient été sanctionnés pour ces errements. « Nous sommes en contrôle de la situation », a-t-il dit en mêlée de presse dans les couloirs du congrès libéral, à Ottawa.

Cela ne rend toutefois pas acceptable le fait que le cas du député Michael Chong n’ait pas été porté à l’attention de son prédécesseur, Bill Blair, a-t-il souligné. Selon nos informations, le SRCS a eu quatre « interactions directes » avec l’élu au sujet de l’ingérence chinoise.

Des séances ont eu lieu le 24 juin 2021, le 5 août 2021, le 5 février 2022, puis le 18 juillet 2022, a précisé une source gouvernementale qui a réclamé l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à discuter de l’enjeu publiquement.

Expulsion de diplomates

Justin Trudeau n’avait rien de nouveau à dire sur une éventuelle expulsion de Zhao Wei, le diplomate du consulat de Toronto qui a orchestré ces manœuvres contre le conservateur. « Ce n’est pas une petite chose d’expulser des diplomates, et c’est quelque chose qui doit être pris au sérieux », a-t-il argué.

« Et je peux vous assurer que la ministre [des Affaires étrangères Mélanie Joly] est en train de regarder de façon détaillée les options et les justifications, et de penser aussi aux conséquences possibles. Mais nous allons agir de la bonne façon », a enchaîné le chef libéral.

Le gouvernement Trudeau a convoqué jeudi l’ambassadeur de la Chine au Canada, Cong Peiwu, afin de lui adresser des réprimandes.

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Cong Peiwu

Sur le site de l’ambassade, un porte-parole de l’envoyé de Xi Jinping a « vigoureusement protesté contre la menace d’expulser le personnel diplomatique et consulaire chinois concerné sur la base de rumeurs de la soi-disant “ingérence de la Chine” amplifiées par certains politiciens et médias canadiens ».

Car ceux-ci, « dans une tentative de faire des gains politiques et d’attirer l’attention, poussés par des préjugés idéologiques », ont « manipulé les questions liées à la Chine, attaquant et discréditant la Chine », a-t-on aussi protesté dans le camp chinois.

Et si Ottawa continue ses « provocations », Pékin ripostera à tout coup, « jusqu’à la fin », a-t-on conclu.

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La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly

La ministre Mélanie Joly a convenu que les risques de représailles étaient un facteur dont Ottawa tenait compte.

« Il est important que les Canadiens sachent [que] ce que nous avons appris de l’expérience des deux Michael, c’est que […] la République populaire de Chine prendra des mesures », a-t-elle exposé devant un comité de la Chambre des communes.

Les trois partis de l’opposition estiment que le gouvernement doit procéder à une ou des expulsions.

L’affaire Michael Chong a été révélée par le Globe and Mail, à qui une source de sécurité nationale avait confié que l’élu ontarien et sa famille étaient dans la mire de Zhao Wei, dont les stratagèmes étaient détaillés dans un rapport secret produit en juillet 2021 par le SCRS.

Le principal intéressé l’a appris grâce aux journalistes du quotidien torontois.