(Ottawa) Justin Trudeau « prend les Canadiens pour des valises » quand il soutient qu’il n’était pas au courant que la Fondation Pierre Elliott Trudeau a organisé, en avril 2016, six mois après la victoire des libéraux, une rencontre avec des sous-ministres dans l’édifice qui abrite le bureau du premier ministre, selon le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre.

Depuis des semaines, la Fondation Trudeau est plongée dans la tourmente. La vérificatrice générale, Karen Hogan, a d’ailleurs fait savoir lundi que son bureau ne réaliserait pas d’audit sur « les dons privés » à la Fondation.

Après examen, Mme Hogan a précisé qu’il n’est « pas du ressort de la vérificatrice générale d’examiner la provenance de dons privés, l’identité d’autres donateurs ou les motivations éventuelles de ceux-ci » selon les termes de l’accord de dotation intervenu entre le fédéral et la Fondation au moment de sa création en 2001.

Les trois partis de l’opposition à Ottawa avaient demandé une enquête de la vérificatrice générale sur le don de 140 000 $ lié à Pékin. La contribution a été remboursée dans son intégralité le 14 avril dernier à l’entreprise Aigle d’or du millénaire, propriété du milliardaire Zhang Bin, proche du régime chinois.

Le président du conseil d’administration par intérim de la Fondation, Edward Johnson, a été informé de la décision dans une lettre signée par Karen Hogan. L’organisation en a pris acte, tout en rappelant qu’elle avait commandé une vérification interne indépendante de ses activités, dont la mise en place se poursuit.

M. Trudeau martèle depuis trois semaines qu’il existe un mur entre lui et la Fondation qui porte le nom de son père depuis qu’il est devenu chef du Parti libéral du Canada en 2013. La Presse a révélé lundi que le Bureau du Conseil privé – le ministère du premier ministre – et la Fondation ont organisé une table ronde sur le pluralisme en 2016 dans une salle qui se trouve dans le même édifice que les bureaux du premier ministre.

Cette table ronde a permis de réunir, outre le président et directeur général de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Morris Rosenberg, les sous-ministres de cinq ministères différents – Affaires étrangères, Patrimoine, Innovation, Sciences et Industrie, Emploi et Développement social et Immigration.

Une porte-parole du premier ministre, Alison Murphy, a indiqué que M. Trudeau n’était pas au courant que cet évènement avait eu lieu à l’édifice Langevin.

Aux Communes, lundi, le chef conservateur, Pierre Poilievre, et le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, ont mis en doute cette affirmation.

Le premier ministre a passé des vacances chez de généreux donateurs à la Fondation Trudeau, mais dit qu’il ne le savait pas. La Fondation Trudeau a reçu des dons de Pékin qui ont été facilités par son frère, mais il dit qu’il ne savait pas. […] Maintenant, il y a des réunions avec la Fondation Trudeau, dans le bureau du premier ministre, avec de hauts fonctionnaires, mais il ne savait pas. Est-ce que le premier ministre prend les Canadiens pour des valises ?

Pierre Poilievre, durant la période des questions

« On se demandait pourquoi la Chine cherchait tant à se rapprocher de la Fondation Trudeau. La Presse donne la réponse ce matin. En 2016, au même moment où la Chine lui signait un gros chèque, la Fondation Trudeau participait à une rencontre directement au bureau du premier ministre avec pas un, pas deux, pas trois, mais cinq sous-ministres. Pendant ce temps-là, le premier ministre répète sans cesse qu’il n’a aucun lien avec la Fondation depuis 10 ans. Est-ce qu’il ignore ce qui se passe dans son propre bureau ou il prend les Québécois pour des valises ? », a renchéri plus tard le député bloquiste Alain Therrien.

En l’absence du premier ministre, c’est le leader du gouvernement en Chambre, Mark Holland, qui a répondu aux nombreuses salves des partis de l’opposition.

M. Holland a réaffirmé que M. Trudeau n’a plus de lien, direct ou indirect, avec la Fondation Trudeau depuis plus de 10 ans. Et il a souligné que le premier ministre n’a pas été informé de la tenue de cette rencontre.

« Comme le premier ministre a déclaré à plusieurs reprises, il n’a aucun lien direct ou indirect avec la Fondation. C’est clair et je peux le répéter encore et encore. Mais les faits sont importants dans la Chambre. Peut-être que le député d’en face envisage une autre carrière et veut écrire des romans. Mais les faits sont importants », a-t-il affirmé.

Selon les partis de l’opposition, cette affaire soulève de nombreuses questions sur la proximité entre Justin Trudeau et la fondation qui porte le nom de son père. D’autant que cela s’ajoute aux révélations selon lesquelles une employée clé du bureau du Justin Trudeau, Zita Astravas, a réclamé, en novembre 2016, des détails à la Fondation Trudeau sur un « don chinois » qui avait été fait à la Fondation cinq mois plus tôt. Le quotidien The Globe and Mail enquêtait alors sur la provenance de ce don.

Avec William Leclerc et Katia Gagnon, La Presse