(Ottawa) Justin Trudeau a évoqué lundi l’internement de Canadiens d’origines japonaise et italienne pendant la Seconde Guerre mondiale pour appeler à la plus grande prudence face à l’adoption d’un « registre des agents étrangers », comme l’ont fait l’Australie et les États-Unis, afin de lutter contre l’ingérence étrangère.

Le premier ministre a eu ces commentaires alors que les autorités américaines ont lancé des poursuites criminelles contre des dizaines d’agents présumés du gouvernement chinois qui seraient actifs dans ce pays.

Lors d’une conférence de presse à Kanata, en banlieue d’Ottawa, M. Trudeau a reconnu lundi que le gouvernement fédéral devait trouver de meilleurs moyens de protéger les Canadiens à la suite d’informations faisant état d’ingérence présumée de la Chine lors des récentes élections canadiennes.

Mais le premier ministre affirme que le gouvernement doit trouver un juste équilibre afin que les nouvelles mesures ne soient pas trop larges et qu’elles ne ciblent pas certaines diasporas, comme les Canadiens d’origine chinoise ou d’autres communautés dont le gouvernement est à couteaux tirés avec Ottawa.

« Le Canada a connu dans son histoire des expériences difficiles dont nous devons tirer des leçons lorsqu’il s’agit de créer des registres d’agents étrangers ou des registres d’étrangers au Canada, a soutenu le premier ministre.

« Il suffit de penser à l’internement de citoyens japonais, ou de Canadiens d’origine japonaise ou italienne, au cours des deux dernières guerres mondiales, pour savoir que nous devons être très, très prudents. »

Quelque 22 000 Canadiens d’origine japonaise ont été dépouillés de leurs biens, chassés de chez eux et transférés dans des camps d’internement dès le début de 1942, après l’attaque de Pearl Harbour, même si la grande majorité d’entre eux étaient des citoyens canadiens.

Environ 600 Italo-Canadiens ont subi un traitement similaire et 31 000 autres ont été déclarés « étrangers ennemis » après que l’Italie a rejoint l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement fédéral a depuis présenté ses excuses à ces deux communautés.

La question de l’ingérence étrangère a fait l’objet de débats récemment alors que des médias, citant des sources de sécurité anonymes et des documents classifiés, ont allégué que la Chine avait tenté d’intervenir lors des deux dernières élections fédérales, ainsi que lors des récentes élections municipales à Vancouver.

M. Trudeau a déclaré lundi que les Sino-Canadiens étaient souvent eux-mêmes les « premières cibles » des efforts d’ingérence de Pékin, et que toute mesure adoptée par le Canada devait garantir que les communautés vulnérables des diasporas ne seraient pas indûment affectées. Il a ajouté que d’autres groupes, comme les Irano-Canadiens, ont été ciblés de la même manière.

« C’est pourquoi nous prenons le temps de consulter de manière appropriée sur le registre des agents étrangers et de nous assurer que nous l’utilisons de la bonne manière », a-t-il expliqué.

Consultations jusqu’en mai

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a annoncé le mois dernier que le gouvernement libéral entamait des consultations sur la création d’un « registre visant la transparence en matière d’influence étrangère », dans le cadre de sa réponse aux allégations d’ingérence chinoise dans les récentes élections canadiennes.

Un tel registre exigerait que les personnes qui agissent au nom d’un État étranger pour faire avancer ses objectifs divulguent leurs liens avec ce gouvernement qui les emploie. Ce serait un autre outil, a déclaré M. Mendicino, pour empêcher d’autres pays de se mêler des affaires du Canada.

L’idée d’un tel registre, qui existe en Australie et aux États-Unis, est de rendre ces actions plus transparentes, avec la possibilité d’amendes ou même de peines de prison en cas de violation.

Les consultations se déroulent jusqu’au 9 mai, notamment via un portail virtuel sur le site internet du ministère de la Sécurité publique.

Dans une entrevue avec La Presse Canadienne, la semaine dernière, le ministre Mendicino a déclaré avoir rencontré un « échantillon représentatif solide » de membres de la communauté sino-canadienne qui ont insisté sur la nécessité d’un registre d’agents agissant au nom de gouvernements étrangers au Canada.

M. Trudeau n’a pas précisé si un tel registre pourrait être en place avant les prochaines élections fédérales. La date de ce scrutin dépend en partie de l’entente de soutien et de confiance que le gouvernement minoritaire libéral a conclue avec les néo-démocrates fédéraux.

Aux États-Unis

Le Canada n’est pas le seul pays aux prises avec des allégations d’ingérence chinoise. Les procureurs à New York ont frappé un grand coup, lundi, face à ce qu’ils ont qualifié d’efforts « intrépides et illégaux » d’agents du gouvernement chinois pour harceler et menacer des dissidents et réprimer la liberté d’expression en sol américain.

Dans trois plaintes criminelles qui viennent d’être rendues publiques, des responsables du département de la Justice ont porté des accusations contre 46 personnes, dont deux vivaient aux États-Unis et exploitaient un poste de police secret dans le sud de Manhattan.

Lu Jianwang, 61 ans, du Bronx, et Chen Jinping, 59 ans, de Manhattan, devaient comparaître devant le tribunal plus tard lundi. Ils sont accusés de complot en vue d’agir en tant qu’agents du gouvernement de la République populaire de Chine et d’entrave à la justice – prétendument pour avoir détruit des preuves de communications avec des responsables du ministère chinois de la Sécurité publique.

À au moins une occasion, le poste de police a été à l’origine d’un effort pour localiser un militant prodémocratie d’origine chinoise qui vivait en Californie, a déclaré Breon Peace, le procureur du district est de New York.

Des opérations policières chinoises comparables ont été identifiées dans des dizaines de pays à travers le monde, y compris au Canada. La Gendarmerie royale du Canada enquête sur deux groupes communautaires au Québec qui seraient des « avant-postes » du ministère chinois de la Sécurité publique, à Montréal et à Brossard.

Ces groupes ont nié les allégations, se sont engagés à coopérer avec la police et ont insisté sur le fait qu’ils s’opposent à toutes les formes d’intimidation et de harcèlement.

Les deux autres affaires américaines se concentrent sur les efforts présumés d’agents chinois vivant à l’étranger pour harceler des ressortissants chinois aux États-Unis dont les opinions et actions politiques n’étaient pas du goût de Pékin.