(Ottawa) Modernisation du NORAD, guerre en Ukraine, perturbations chinoises, propulsion de l’économie verte : le président des États-Unis, Joe Biden, a égrené – sans s’attarder à l’un d’eux en particulier – toute une série d’enjeux dans son allocution au Parlement. Un discours sur le thème de la proximité entre voisins qu’il a assaisonné de pointes d’humour et pimenté d’une mise en échec à l’endroit des Maple Leafs de Toronto.

La Chambre des communes était pleine à craquer, vendredi, pour entendre le locataire de la Maison-Blanche prononcer cette allocution qui a duré trentaine de minutes. Il a abordé devant eux une série d’enjeux, autant bilatéraux qu’internationaux.

« Bonjour Canada », a-t-il lancé dans la langue de Molière, s’attirant des applaudissements. « J’ai suivi des cours de français pendant quatre ans à l’école, mais la première fois que j’ai essayé de faire un discours un français, on s’est moqué de moi », a-t-il rigolé avant de passer à l’anglais.

Grand amateur de sports, le président n’a pu s’empêcher de réserver un passage de son allocution au sujet, y allant d’une fronde à l’intention des partisans des Leafs de Toronto, qu’il a dit ne pas aimer. Pourquoi ? Parce que le club a eu le dessus sur les Flyers de Philadelphie, dont sa femme, Jill Biden, est une supporter.

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Le président des États-Unis Joe Biden et le premier ministre canadien Justin Trudeau

Le ton est ensuite devenu plus sérieux, comme l’imposaient les dossiers à l’ordre du jour, qu’il s’agisse de la modernisation du NORAD, de la lutte contre le trafic de fentanyl, de la guerre en Ukraine, ou de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

« J’applaudis la Chine… euh, le Canada », s’est emmêlé Joe Biden alors qu’il parlait de l’accord migratoire.

Le président est plus tard revenu sur la Chine, comme pour établir un contraste net entre elle et nous.

« [Le président chinois] Xi Jinping m’a demandé si je pouvais décrire les États-Unis – et j’aurais pu dire la même chose s’il m’avait demandé de le faire pour le Canada –, et j’ai dit oui. Un mot : possibilités. Rien n’est à l’épreuve de nos capacités », s’est-il exclamé en guise de conclusion à son discours.

La Chine était aussi en filigrane, alors que le président Joe Biden a mentionné la présence de Michael Kovrig et de Michael Spavor dans les gradins.

« Je suis très heureux de voir les deux Michael. Ils ont pu retrouver leur famille sains et saufs après plus de mille jours – mille jours ! – en détention », a-t-il lancé en indiquant qu’il avait eu l’occasion de les rencontrer un peu plus tôt.

Il a enchaîné en parlant de diversité, ce qui l’a mené à faire référence à la composition du Cabinet de Justin Trudeau, paritaire depuis 2015. « Je suis très fier que nos deux cabinets soient composés de 50 % de femmes ! », s’est-il réjoui.

« Même si vous n’êtes pas d’accord, les gars, levez-vous », a-t-il ensuite balancé spontanément à des élus des banquettes conservatrices qui étaient restés assis, contrairement à leurs collègues libéraux d’en face.

Le premier ministre canadien, qui a précédé son invité américain au lutrin, a pour sa part abordé la « guerre injuste » de la Russie en Ukraine, de la longue frontière canado-américaine davantage « un lieu de rendez-vous qu’une ligne de division », et de lutte contre les changements climatiques.

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Justin Trudeau en discours à la Chambre des communes

L’économie s’est aussi taillé une place dans son discours d’une vingtaine de minutes livré en français et en anglais : Justin Trudeau a pris soin de faire allusion au Inflation Reduction Act en vantant les énergies vertes du Canada, et de l’importance de la contribution canadienne à la résilience des chaînes d’approvisionnement.

Des parlementaires et des invités de marque

Dans les gradins, des sièges avaient été réservés pour Michael Kovrig et Michael Spavor et leurs conjointes. Ils ont eu droit à plus d’une ovation dans la même pièce où, ironiquement, la veille, il était question d’eux en raison des allégations visant le député Han Dong.

En plus des parlementaires, plusieurs dignitaires étaient sur place, dont l’ex-premier ministre Jean Chrétien. S’y trouvaient aussi les ambassadeurs des pays du G7. Le premier ministre avait convié l’ambassadeur de l’Ouganda, mais il a retiré son invitation après l’adoption d’une loi anti-LGBTQ+à Kampala.

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Les anciens premiers ministres Jean Chrétien et Joe Clark

Des places avaient aussi été prévues pour des citoyens invités par Justin Trudeau, d’un travailleur de la mine Sayona de Val-d’Or à l’employé de Lion Électrique à Saint-Jérôme à des infirmières de Windsor, en Ontario, et une immigrante ukrainienne.

Et de neuf présidents

Joe Biden est le neuvième président à prononcer un discours devant le Parlement canadien, le dernier en lice ayant été celui dont il était le vice-président, Barack Obama, en 2016. Il avait eu droit à une longue ovation à son entrée dans l’enceinte, et à des chants « Four more years ! », même s’il ne pouvait se représenter.

Avant eux, Bill Clinton (1995), Ronald Reagan (1986), John F. Kennedy (1961), Dwight D. Eisenhower (1953 et 1958) et Harry Truman (1947) s’étaient prêtés à l’exercice, tous dans des contextes géopolitiques variés.

Bref psychodrame autour du dîner

À l’issue de l’allocution, Joe Biden et Justin Trudeau répondront aux questions des journalistes. Suivra, un peu plus tard, le dîner officiel au Musée de l’aviation et de l’espace, où convergeront plusieurs prestigieux invités.

La politique partisane n’a pas pris de pause malgré la présence en ville du locataire de la Maison-Blanche.

Après que le bureau du premier ministre Trudeau a affirmé que Pierre Poilievre avait été convié au dîner pour Joe Biden et qu’il avait décliné cette invitation, le cabinet du chef conservateur a réfuté, accusant les libéraux de « répand[re] une fois de plus de la désinformation ».

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Le président Joe Biden et le chef du Parti conservateur du Canada Pierre Poilievre

« Le chef [Poilievre] n’a pas refusé d’invitation au dîner d’État. En fait, notre bureau ne trouve aucune trace d’une telle invitation », a-t-on signalé. La réplique du bureau du premier ministre a été quasi instantanée : une capture d’écran d’un rappel envoyé le 19 mars (à un compte inactif) a été partagée avec les journalistes.

En fin de compte, le leader conservateur aura son couvert, à l’instar des autres leaders des partis d’opposition. Les convives auront droit à quelques prestations musicales, dont celles de Charlotte Cardin, qui interprétera une de ses chansons, Next to You, et Hallelujah, de Leonard Cohen.