(Ottawa) De hauts fonctionnaires vantent auprès de Justin Trudeau depuis près d’un an les mérites d’un registre des agents d’influence étrangers pour contrer l’ingérence étrangère, comme l’a fait l’Australie en 2018.

Le premier ministre du Canada a d’ailleurs même eu une conversation à ce sujet avec le premier ministre de l’Australie, Anthony Albanese, le 30 juin 2022, montrent des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Dans une note à l’intention de Justin Trudeau, la greffière du Conseil privé, Janice Charette, affirme que ce registre a fait ses preuves dans les pays qui l’ont adopté. Cet outil permet sans l’ombre d’un doute de mettre en lumière les activités que mènent des individus ou des entités au nom de pays autoritaires, y soutient-elle.

« Les registres des agents d’influence étrangers sont considérés à l’échelle internationale comme l’un des meilleurs outils pour contrer l’ingérence étrangère. Les États-Unis ont adopté la Loi sur l’enregistrement des agents étrangers à cette fin en 1938 », écrit-elle dans un document daté du 18 août 2022.

« Le gouvernement du Royaume-Uni prévoit créer un registre similaire en adoptant un amendement à la Loi sur la sécurité nationale. L’Australie a adopté un registre (Foreign Influence Transparency Scheme (FITS)) en 2018 », y ajoute la plus haute fonctionnaire du gouvernement fédéral.

L’efficacité de ce registre est telle que l’on a constaté, en Australie, une baisse notable des activités des agents étrangers, qui ont cessé de solliciter des rencontres ou de participer à des évènements parce qu’ils avaient l’obligation de déclarer le tout dans le registre, sous peine d’emprisonnement ou d’amende.

L’expérience de l’Australie démontre que d’anciens politiciens ou anciens hauts fonctionnaires ont choisi de cesser leurs activités en tant qu’agents étrangers au lieu de rendre leur association publique. D’autres organisations ont mis fin à leurs activités pour éviter de se soumettre au registre.

Janice Charette, greffière du Conseil privé, dans un document daté du 18 août 2022

Or, le gouvernement Trudeau tarde à prendre les moyens qui s’imposent pour créer un tel registre. D’anciens diplomates en poste en Chine, David Mulroney et Charles Burton, ont plaidé devant un comité parlementaire il y a deux mois que l’absence d’un registre facilitait l’ingérence étrangère au Canada.

Malmené, Justin Trudeau ne bronche pas

Cherchant à calmer la tempête politique provoquée par les révélations du quotidien The Globe and Mail et du réseau Global News sur les stratégies employées par la Chine pour s’ingérer dans les élections de 2019 et 2021, Justin Trudeau a annoncé lundi soir un trio de mesures, jetant les bases de la création d’un registre.

Mais il n’est pas encore question, à tout le moins pour l’instant, de lancer l’enquête publique, malgré les demandes insistantes des partis de l’opposition, qui ont continué à taper sur ce clou lors de la période des questions de mercredi, jour où le premier ministre répond à toutes les questions.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, lors de la période de questions mercredi

Des « faussetés », des « jeux de mots », « diamétralement opposé à la vérité » : le chef conservateur, Pierre Poilievre, y est allé d’acrobaties langagières pour éviter d’accuser son interlocuteur de mentir sur l’ingérence chinoise, ce qu’il est interdit de faire en Chambre.

Après avoir lancé ces accusations voilées, Pierre Poilievre a adopté le style de procureur de la Couronne qui avait plutôt bien servi l’ancien chef néo-démocrate Thomas Mulcair contre Stephen Harper à l’époque du scandale des dépenses au Sénat.

« Oui ou non », « Des noms, s’il vous plaît », a-t-il notamment sommé, en vain.

Deux fois plutôt qu’une – en français et en anglais –, Justin Trudeau a voulu passer à l’attaque en demandant à son adversaire d’expliquer pour quelle raison trois de ses députés avaient rencontré une élue allemande d’extrême droite.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors de la période de questions mercredi

Pierre Poilievre a complètement ignoré les salves.

Nouveaux détails sur l’ingérence

Le premier ministre avait eu droit à un avant-goût des questions pointues qui lui seraient posées lorsqu’il s’est arrêté au micro des journalistes parlementaires avant la réunion hebdomadaire de son caucus, mercredi matin, alors que des révélations fraîches faisaient les manchettes.

Selon ce qu’a réitéré Global News, Justin Trudeau aurait été informé des intentions de la Chine de favoriser une poignée de candidats, mais cette fois, les allégations viennent de rapports du Bureau du Conseil privé, le ministère du premier ministre, et du comité secret sur la sécurité nationale.

Ce dernier rapport, cité par le réseau anglophone, dit qu’« un interlocuteur de l’ambassade [de Chine] a fondé un groupe de leaders communautaires appelé le “tea party’’ pour sélectionner les candidats qu’il soutiendrait et finalement approuver publiquement ».

On y précise aussi qu’un ex-consul de Chine a informé les entreprises liées à Pékin « des règles concernant les contributions politiques » et « exhorté certains chefs d’entreprise à faire des dons par l’intermédiaire de filiales et d’acquisitions canadiennes », toujours d’après Global News.

Conservateurs, bloquistes et néo-démocrates continuent à marteler que la voie à suivre est celle d’une enquête publique et indépendante. Lundi, Justin Trudeau a fait valoir que le fait d’acquiescer aurait été la solution « facile politiquement ».

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse