(Ottawa) Des « faussetés », des « jeux de mots », « diamétralement opposé à la vérité » : le chef conservateur Pierre Poilievre y est allé d’acrobaties langagières, mercredi, pour éviter d’accuser Justin Trudeau de mentir sur l’ingérence chinoise, ce qu’il est proscrit de faire en Chambre.

Éclaboussé par de nouvelles révélations sur ce qu’il savait (ou pas) de l’ingérence de Pékin dans les élections générales de 2019 et de 2021, le premier ministre a été talonné par son adversaire conservateur et les députés bloquistes.

Après avoir lancé ces accusations voilées, Pierre Poilievre a adopté le style de procureur de la Couronne qui avait plutôt bien servi l’ancien chef néo-démocrate Thomas Mulcair contre Stephen Harper à l’époque du scandale des dépenses au Sénat.

« Oui ou non », « Des noms s’il vous plaît », a-t-il notamment sommé, en vain.

Deux fois plutôt qu’une – en français et en anglais –, Justin Trudeau a voulu passer à l’attaque en demandant à son adversaire d’expliquer pour quelle raison trois de ses députés avaient rencontré une élue allemande d’extrême droite.

Pierre Poilievre a complètement ignoré les salves.

Le premier ministre avait eu droit à un avant-goût des questions pointues qui lui seraient posées lorsqu’il s’est arrêté au micro des journalistes parlementaires avant la réunion hebdomadaire de son caucus, mercredi matin.

Plutôt que d’y répondre, il a chaque fois esquivé, se réfugiant derrière les mesures qu’il a dévoilées lundi soir, dont celle de désigner un « rapporteur spécial indépendant » chargé de le conseiller sur la pertinence d’ouvrir une enquête publique.

Des détails précis lui étaient pourtant demandés au sujet des révélations d’un nouveau reportage de Global News au sujet de l’ingérence de Pékin lors des deux dernières élections fédérales, lors desquelles les libéraux ont décroché des victoires minoritaires.

Selon ce que rapporte le réseau anglophone, le premier ministre avait été informé des intentions de la Chine de favoriser des candidats. Cette fois, les allégations proviennent de rapports du Bureau du Conseil privé et du comité secret sur la sécurité nationale.

C’est à ce regroupement de députés et de sénateurs, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, que Justin Trudeau s’en remet afin de mener des enquêtes sur les questions d’ingérence étrangère.

Leur rapport cité par Global News dit qu’« un interlocuteur de l’ambassade [chinoise] a fondé un groupe de leaders communautaires appelé le “tea party” pour sélectionner les candidats qu’il soutiendrait et finalement approuver publiquement ».

On y spécifie aussi qu’un ex-consul chinois a informé les entreprises liées à Pékin « des règles concernant les contributions politiques » et « exhorté certains chefs d’entreprise à faire des dons par l’intermédiaire de filiales et d’acquisitions canadiennes ».

La copie que Global News indique avoir consultée n’avait pas été expurgée.

Les partis d’opposition maintiennent la pression

Conservateurs, bloquistes et néo-démocrates continuent à marteler que la voie à suivre est celle d’une enquête publique et indépendante. Lundi, en dévoilant un trio d’annonce qui n’aucunement satisfait les formations de l’opposition, Justin Trudeau a fait valoir que d’acquiescer aurait été la solution « facile politiquement ».

« Si j’avais annoncé une enquête publique […], dès qu’on arriverait à un moment où je dois dire : “Ah non, mais on ne peut pas vous donner ces documents-ci et ces documents-là”, l’indépendance de ce processus, [son] efficacité ainsi que [son] impact auraient été minés », a-t-il argué.

Pendant ce temps, la zizanie perdure au comité des Communes qui se penche sur l’ingérence chinoise.

Las de voir l’opposition revenir à la charge avec une motion réclamant la comparution de Katie Telford, la cheffe de cabinet du premier ministre, les libéraux ont choisi de ne pas se pointer lors de la reprise prévue des travaux du comité en question, après la période des questions, mardi après-midi.

Leur absence a fait en sorte que le quota n’était pas atteint pour que la rencontre se tienne, aussi celle-ci est-elle toujours officiellement considérée « suspendue ». Le comportement des libéraux a été fustigé par les élus de tous les partis qui siègent au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.