(Montréal et Québec) Le premier ministre François Legault a provoqué la colère des syndicats samedi en se tournant vers les réseaux sociaux pour les accuser de « fermeture » dans le cadre des négociations pour le renouvellement des conventions collectives des employés de l’État.

Un nouveau chapitre s’ouvre dans la bataille de l’opinion publique opposant le gouvernement aux syndicats.

Dans un message publié sur Facebook samedi matin, François Legault leur reproche de bouder les trois forums qu’il a créés hors de la traditionnelle table de négociation afin de « discuter autrement pour changer les choses » dans les réseaux de la santé et de l’éducation.

« Les dirigeants syndicaux sont dans une logique de fermeture et ne veulent pas venir discuter autrement pour changer les choses. Je pourrais comprendre si au gouvernement on voulait couper dans les salaires ou les conditions de travail des infirmières et des enseignants. Mais c’est le contraire, on veut améliorer leurs conditions ! », plaide-t-il dans son message.

De leur côté, les syndicats imputent depuis des semaines au gouvernement la lenteur des pourparlers à la table, où, disent-ils, ils sont prêts à régler les problèmes dont souffrent ces deux réseaux. Ils estiment qu’avec ses forums, le gouvernement cherche à passer outre le processus normal de négociation.

Québec a mis sur pied trois forums pour discuter des conditions de travail dans trois secteurs jugés prioritaires : la santé, l’éducation et les services en santé mentale.

Il avait utilisé la même stratégie lors la précédente ronde de négociations, sans succès : les syndicats avaient refusé de prendre part à des discussions hors des tables de négociation. Les parties étaient tout de même parvenues à renouveler les contrats de travail.

Cette fois, François Legault tient de toute évidence à ce que ses forums fonctionnent.

Des représentants syndicaux choqués

Les quatre représentants syndicaux en processus de négociations avec le gouvernement se sont dit en colère et exaspérés par la sortie du premier ministre.

« Ça fait trois fois qu’on dit non au gouvernement pour les forums. On aimerait ça, être compris, nous aussi », lance Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). « Ce n’est pas parce que le gouvernement a eu cette idée que c’est nécessairement une bonne idée, ajoute-t-il. Si on veut avoir de grandes discussions sur les réseaux publics, on peut le faire à l’extérieur de la négociation, avant ou après. »

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Le président de la CSQ, Éric Gingras

« Je crois [qu’au gouvernement], ils auraient besoin d’un cours de négociation 101 », renchérit François Enault, premier vice-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

Les négos au Québec sont régies par des lois. Le Code du travail a été fait pour que les gens puissent négocier d’égal à égal.

François Enault, premier vice-président de la CSN

Selon les différents représentants syndicaux, les forums permettent au gouvernement de choisir et contrôler les sujets abordés, tout en se soustrayant aux lois qui encadrent les négociations.

Il est faux d’affirmer que les syndicats sont fermés aux solutions pour améliorer le réseau public, s’indigne pour sa part Magali Picard, présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). « On est même plus qu’ouverts : on en a, des propositions [sur la table] qui vont complètement changer des pratiques, tant dans le réseau scolaire que dans le réseau de la santé, si elles sont acceptées ! », soutient-elle. Elle invite le gouvernement à cesser son « show médiatique » qui dépeint des « méchants syndicats » et à venir s’asseoir à la table des négociations.

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La présidente de la FTQ, Magali Picard

Du côté du syndicat de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), le président Robert Comeau est exaspéré. « Les 65 000 membres qu’on représente se sont donnés corps et âme pendant la pandémie, rappelle-t-il. Ces gens-là attendent de nous, de la partie patronale et syndicale, qu’on arrive à des solutions. Et l’endroit où en parler, c’est aux tables de négociation. C’est un incontournable. »

Négocier sur la place publique

Dans son message, François Legault revient sur des propositions faites ces derniers jours par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. Cette dernière voulait les présenter dans les forums de discussion, mais devant le refus des syndicats de s’y présenter, elle les a envoyées par courriel, ce qui a suscité la grogne.

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La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel

Ces propositions de 700 millions en cinq ans ne constituent pas une nouvelle offre ou une offre bonifiée de Québec, comme l’ont estimé certains ces derniers jours. Il s’agit plutôt de précisions sur la nature des améliorations aux conditions de travail proposées par le gouvernement dans son offre déposée en décembre.

Rappelons que cette offre aux 600 000 employés de l’État prévoit des hausses salariales de 9 % en cinq ans, des bonifications aux conditions de travail représentant 2,5 % et un montant forfaitaire de 1000 $ la première année, soit bien en deçà des demandes syndicales.

Parmi les bonifications précisées par Sonia LeBel, Québec propose l’ajout de 15 000 « aides à la classe » pour prêter main-forte aux enseignantes – le réseau compte 25 000 classes. « Ça pourrait être des éducatrices » des services de garde scolaires, « qui auraient enfin des horaires à temps plein pour celles qui le souhaitent », écrit François Legault.

Dans le secteur de la santé, Québec veut rendre plus alléchant « les horaires qui sont difficiles à combler, […] du vendredi au lundi, le soir, la nuit et la fin de semaine », ajoute le premier ministre. Il fait aussi allusion au projet de loi visant à éliminer d’ici 2026 le recours aux agences privées de personnel, en voulant convaincre les infirmières des agences de revenir dans le secteur public.

L’amélioration des conditions de travail et des services passe par « plus de flexibilité dans les conventions collectives », réitère François Legault sur Facebook.

Les conventions collectives des employés de l’État seront échues le 31 mars.

Les partis d’opposition réagissent

Je pense que sa sortie est totalement contre-productive. Le premier ministre ne peut pas prendre de front les syndicats et leur dire de faire partie de la solution, quand c’est lui qui fait partie du problème depuis cinq ans. Les syndicats sont fâchés, ils demandent au gouvernement de venir les rejoindre aux tables de négociation. C’est là que vont se décider les conditions salariales et l’ensemble des conditions de travail.

Marc Tanguay, chef par intérim du Parti libéral du Québec

Tout le monde comprend la stratégie de François Legault : monter l’opinion publique contre les syndicats pour excuser ses échecs. Au lieu de se chicaner sur Facebook, il devrait écouter les gens sur le terrain. Si la CAQ avait toutes les solutions, la situation ne se serait pas empirée en santé et en éducation. Mais non, le premier ministre continue d’accuser tout le monde de se tromper, sauf lui.

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Plutôt que de négocier de bonne foi et de proposer des solutions, le gouvernement demande aux infirmières de faire preuve de plus de flexibilité. Ce message est très négatif, contre-productif même. Cette approche […], qui cherche à faire porter le fardeau de l’impasse de la négociation sur le dos des professionnels de soin, est de très mauvais augure.

Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine et porte-parole du Parti québécois en matière de santé