Les libéraux veulent freiner l’hémorragie en conservant leur bastion, tandis que les solidaires sont déterminés à prouver que leur formation ne plafonne pas. Les attentes sont élevées dans Saint-Henri–Sainte-Anne, où le Parti libéral du Québec et Québec solidaire se livrent une chaude lutte pour remporter le siège laissé par l’ex-cheffe libérale Dominique Anglade. La Presse s’est rendue sur place.

Un bastion rouge menacé

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Le candidat de Québec solidaire pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard, aborde des électeurs à la station de métro Jolicœur.

Vendredi 15 h 30. Le week-end est à nos portes quand Guillaume Cliche-Rivard arrive à la station de métro Jolicœur, dans le secteur de Côte-Saint-Paul.

« Vous avez mon vote », lui lance un homme dans la quarantaine qui descend du dernier train.

« Je peux prendre vos coordonnées ? Vous êtes le seul électeur à la maison ? », demande le candidat de Québec solidaire. « Nous sommes deux et elle vote comme moi », répond le passant, sourire aux lèvres. Il accepte volontiers de fournir nom et adresse avant de repartir.

Les pancartes électorales ont poussé dans Saint-Henri–Sainte-Anne. Moins de six mois après le scrutin général d’octobre, les électeurs de la circonscription montréalaise sont de nouveau conviés aux urnes le 13 mars en raison de la démission de l’ex-cheffe libérale, Dominique Anglade.

Le candidat orange sent que cette fois est la bonne. L’avocat spécialisé en immigration était sur les rangs aux dernières élections pour affronter Mme Anglade.

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Le candidat de Québec solidaire pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard

Je le vois un peu comme le match de prolongation, le round 2.

Guillaume Cliche-Rivard, candidat de Québec solidaire pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne

Malgré des résultats catastrophiques pour sa formation, l’ancienne leader du PLQ a conservé son siège avec une majorité de 2736 voix (36,2 %). M. Cliche-Rivard a terminé deuxième (27,7 %) à une bonne avance du candidat de la Coalition avenir Québec (17,7 %).

Résultats des élections générales du 3 octobre 2022

  • PLQ : 36,15 % (+ 2736 voix)
  • QS : 27,72 %
  • CAQ : 17,73 %
  • PQ : 8,27 %
  • PCQ : 6,36 %
  • Taux de participation : 57,82 %

Source : Élections Québec

Le solidaire s’enfonce dans la bâtisse brune. C’est plus chaud à l’intérieur, en cette journée froide de février. À l’arrivée de deux bénévoles, le petit groupe s’installe devant les tourniquets, prêt à distribuer des dépliants. L’accueil est somme toute courtois.

« Sans être devin, on pouvait deviner avec les résultats attendus par le Parti libéral qu’il risquait d’avoir une élection partielle dans la prochaine année, alors on n’a jamais vraiment arrêté le travail terrain », poursuit le candidat de 33 ans. « Mais c’est un match différent », estime le grand gaillard.

« Mme Anglade était connue, une ancienne vice-première ministre du Québec, c’était un symbole fort. Une femme de couleur aussi […], un chef de parti, ça a aussi une certaine aura », énumère le solidaire.

Deuxième chance

À moins de cinq kilomètres de là, le candidat libéral Christopher Baenninger disputait un tout autre genre de « match revanche » alors que son chef par intérim, Marc Tanguay, espérait bien faire mieux que lui dans un tournoi amical de jeu de poches.

Les deux hommes visitent une résidence pour aînés avant de repartir faire du porte-à-porte. Gilles Gareau, qui vient de lancer ses poches avec une précision épatante, échange avec le candidat libéral.

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Le candidat libéral Christopher Baenninger (à gauche) échange avec Gilles Gareau, résidant de la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Il n’aura pas son vote. L’homme qui porte une boucle d’oreille en forme de fleur de lys se qualifie d’ancien péquiste. « J’aime beaucoup M. [François] Legault. Il n’a pas peur d’admettre ses erreurs », dit-il.

Un autre aîné s’arrête près de la machine à café. « Moi, j’ai été entrepreneur toute ma vie, la politique c’est toujours pareil. Je reste libéral », affirme-t-il avant de retourner jouer.

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Compétition amicale de jeu de poches entre le candidat libéral Christopher Baenninger (à gauche) et le chef du PLQ, Marc Tanguay

Après la démission de Mme Anglade, les libéraux ont choisi M. Baenninger pour défendre ce bastion rouge.

Le président d’une agence de marketing était candidat aux dernières élections dans la circonscription voisine de Sainte-Marie–Saint-Jacques. Il est arrivé deuxième derrière la co-porte-parole de QS, Manon Massé. « Les enjeux sont assez similaires ici », constate le libéral.

Affrontements

L’accès au logement arrive en tête de liste des priorités des citoyens de la circonscription, de l’aveu des candidats rencontrés pour ce reportage. Le jour même de notre visite, les libéraux ont promis de « débarricader » quelque 200 logements à loyer modique inhabitables en raison de leur vétusté.

84 550

Population de Saint-Henri–Sainte-Anne

57 325

Nombre d’électeurs et d’électrices inscrits

16,34 km2

Superficie de la circonscription

Source : Élections Québec

C’est aussi un thème cher à Québec solidaire, qui a talonné le gouvernement Legault toute la semaine en Chambre sur le sujet.

Les hostilités sont d’ailleurs lancées entre le PLQ et QS. Les deux formations se collettent sur leurs propositions en matière de logement et même sur le front de la jeunesse.

39,2 ans

Âge moyen dans Saint-Henri–Sainte-Anne (Québec : 42,8 ans)

Source : Élections Québec

Marc Tanguay a demandé jeudi à Gabriel Nadeau-Dubois de « se regarder dans le miroir quant à la défense des intérêts des jeunes », l’accusant de vouloir « couper 100 % des versements » au Fonds des générations pour s’attaquer notamment aux changements climatiques. « Il y a des limites à prendre le monde pour des valises », a répliqué le chef parlementaire de QS.

La langue divise

En marchant vers un petit café de la rue Notre-Dame Ouest, Christopher Baenninger explique que les citoyens de Saint-Henri–Sainte-Anne, où le tiers de la population s’exprime en anglais à la maison, lui parlent « beaucoup » de la loi 96 sur la protection du français.

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Pause-café pour le candidat libéral Christopher Baenninger

Sur ce front aussi, les libéraux tentent de se distinguer de QS. Ils rappellent inlassablement que la formation de gauche a voté pour la réforme du gouvernement Legault, qui a invoqué la disposition de dérogation pour mettre sa loi 96 à l’abri des poursuites.

M. Baenninger, qui parle quatre langues, est d’ailleurs propriétaire d’une école de langues qui se « spécialise dans l’enseignement du français et de l’anglais pour aider les immigrants à mieux s’intégrer chez nous », selon sa biographie en ligne.

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Le candidat du Parti libéral du Québec pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Christopher Baenninger

Ce que je dis, c’est qu’on veut défendre le français, mais en même temps, on ne veut pas punir ceux qui ne le parlent pas.

Christopher Baenninger, candidat du Parti libéral du Québec dans Saint-Henri–Sainte-Anne

Le candidat libéral estime, comme son chef, que le PLQ doit mieux communiquer ses idées, un élément qui a fait défaut à la dernière campagne, selon eux.

La position de Dominique Anglade sur la loi 96, qui a dû rétropédaler après avoir amorcé un virage plus nationaliste, a aussi fait perdre des appuis dans la communauté anglophone.

Population totale selon la langue le plus souvent parlée à la maison

  • Français : 59 % (comparativement à 82,2 % au Québec)
  • Anglais : 32,3 % (comparativement à 13 % au Québec)

Source : Élections Québec

Mais alors même qu’il plaide pour plus de clarté sur 96, Christopher Baenninger s’emmêle les pinceaux : il affirme qu’après six mois, un immigrant ne parlant pas assez bien le français, « potentiellement, il va devoir partir ». Marc Tanguay le reprend rapidement.

Six mois, c’est plutôt le délai imparti aux immigrants avant d’être servis en français par l’administration publique. « Oui, voilà », s’excuse le candidat.

L’inclusion au cœur de la campagne

De retour à la station Jolicœur, le candidat solidaire rappelle au sujet de la loi 96 que « toutes les clauses qui brimaient les droits et libertés, on allait les abroger », dit-il, sans préciser de quelles dispositions il s’agit. QS s’est engagé à rendre « inopérant » le délai de six mois.

M. Cliche-Rivard souligne que les « enjeux d’inclusion » préoccupent dans la circonscription. « La division, on m’en parle tout le temps », assure-t-il, faisant écho aux débats houleux sur les seuils d’immigration.

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Le candidat solidaire Guillaume Cliche-Rivard discute des positions de son parti à la station de métro Jolicœur.

Un passant s’agite lorsqu’un bénévole lui tend un tract.

« Vous avez perdu mon vote », déclare l’homme qui n’a pas souhaité être identifié. Il reproche à QS sa gestion de l’affaire Elghawaby – la conseillère spéciale du gouvernement Trudeau dans la lutte contre l’islamophobie, et de ne pas avoir « dénoncé haut et fort le Québec bashing ».

QS a refusé d’appuyer une motion adoptée par l’Assemblée nationale qui condamnait les propos passés de la représentante fédérale et demandait son renvoi. Les solidaires ont finalement exigé sa démission après avoir été incapables de la rencontrer avant son entrée en fonction.

« Quand j’ai vu ça, je capotais », explique le passant, qui indique voter solidaire depuis sa création.

Le bénévole tente de lui expliquer la position de la formation, mais rien n’y fait. Tout juste avant, Guillaume Cliche-Rivard disait justement ceci en parlant de l’affaire Elghawaby : « Il faut qu’on s’écoute, il faut qu’on se parle. Il y a un climat quand même tendu, il faut qu’on tempère un peu. »

Répartition des minorités visibles dans les ménages privés

Ne fait pas partie d’une minorité visible

Saint-Henri–Sainte-Anne : 68,7 % (comparativement à 83,9 % au Québec)

Fait partie d’une minorité visible

Saint-Henri–Sainte-Anne : 31,3 % (comparativement à 16,1 % au Québec)

Source : Élections Québec

D’autres candidats sur les rangs

Victor Pelletier, Coalition avenir Québec

  • Victor Pelletier porte les couleurs de la Coalition avenir Québec pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne.

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    Victor Pelletier porte les couleurs de la Coalition avenir Québec pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne.

  • Le candidat caquiste, accompagné par la députée de Laval-des-Rapides, Céline Haytayan, discute avec un électeur à la station de métro Monk.

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    Le candidat caquiste, accompagné par la députée de Laval-des-Rapides, Céline Haytayan, discute avec un électeur à la station de métro Monk.

  • Victor Pelletier aborde des électeurs attablés dans un petit café de la rue Monk.

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    Victor Pelletier aborde des électeurs attablés dans un petit café de la rue Monk.

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Militant pour la Coalition avenir Québec depuis qu’il a 15 ans, Victor Pelletier met son nom sur un bulletin de vote pour la première fois. « Je ne suis pas en politique pour les circonscriptions faciles, je suis là pour vivre l’expérience, mais aussi porter mon message », souligne le président de l’aile jeunesse de la formation de François Legault, qui espère surprendre au 13 mars. « Ça s’est vu dans des partielles. Je pense à Louis-Hébert, où personne n’attendait la CAQ et où finalement Geneviève Guilbault est rentrée avec une forte majorité », explique le candidat de 21 ans, attablé dans un petit café de la rue Monk. La députée de Laval-des-Rapides, Céline Haytayan, est venue lui prêter main-forte. Le candidat veut mettre de l’avant la création de logements sociaux et les mesures du « bouclier anti-inflation » de la CAQ. D’ailleurs, les pancartes électorales avec la mention « Baisse d’impôts » ont fait sourciller le Parti québécois, qui a accusé François Legault de tenter d’« acheter » la partielle. M. Pelletier s’est dit « très confortable » avec ces affiches puisqu’il s’agit d’un engagement électoral connu.

Andréanne Fiola, Parti québécois

  • Andréanne Fiola, candidate du Parti québécois pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne

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    Andréanne Fiola, candidate du Parti québécois pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne

  • La candidate péquiste fait du porte-à-porte avec le chef Paul St-Pierre Plamondon.

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    La candidate péquiste fait du porte-à-porte avec le chef Paul St-Pierre Plamondon.

  • Les péquistes espèrent améliorer leur résultat dans Saint-Henri–Sainte-Anne par rapport aux élections générales d’octobre dernier.

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    Les péquistes espèrent améliorer leur résultat dans Saint-Henri–Sainte-Anne par rapport aux élections générales d’octobre dernier.

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Après avoir été candidate péquiste dans Laval-des-Rapides, où elle avait obtenu 12,92 % des voix, Andréanne Fiola tente de nouveau sa chance. Nous la retrouvons alors que les bénévoles du Parti québécois s’apprêtent à mener un blitz de porte-à-porte. Le chef Paul St-Pierre Plamondon l’accompagne. « Quand je travaillais pour la Ville de Montréal, je suis venue faire des analyses d’eau ici, alors je connais bien le quartier. Quand on m’a proposé de me présenter ici, c’était comme évident que je voulais accepter », souligne la candidate de 23 ans, qui travaille maintenant en environnement à la Ville de Mascouche. Les troupes péquistes espèrent pouvoir mesurer dans Saint-Henri–Sainte-Anne, circonscription qui historiquement ne leur est pas favorable, les effets de leur remontée lors des dernières élections générales. « Si on a eu une augmentation au niveau national, ça peut avoir un impact sur le résultat final si on mobilise bien nos gens, donc c’est important de faire un effort de terrain pour mobiliser les gens qui ont une opinion positive de ce qu’on fait de manière à minimalement améliorer notre score dans [cette circonscription]-ci », explique M. St-Pierre Plamondon.

Lucien Koty, Parti conservateur du Québec

PHOTO FOURNIE PAR LE PARTI CONSERVATEUR DU QUÉBEC

Lucien Koty, candidat du Parti conservateur du Québec dans Saint-Henri–Sainte-Anne

Le Parti conservateur du Québec fait lui aussi confiance à un ancien candidat, Lucien Koty, qui avait brigué les suffrages dans la circonscription voisine de Verdun, où il avait obtenu 5,35 % des voix. Originaire du Bénin, le consultant en technologie de l’information veut mettre de l’avant les thèmes de l’accès au logement et de l’inflation. Il estime que les dernières élections ont permis de mieux faire connaître sa formation politique et son chef Éric Duhaime. « [Assurément], toutes les portes ne sont pas pareilles, mais les gens nous connaissent de plus en plus […] les gens sont plus à l’écoute, c’est ce que je remarque », soutient le candidat. Des publications controversées sur les réseaux sociaux ont refait surface. Il a écrit notamment que « c’est l’OTAN avec [l’Union européenne] en tête qui voulait la guerre contre la Russie et s’est servi de l’Ukraine pour la déclencher. Les Ukrainiens sont trop stupides pour le comprendre », selon une capture d’écran publiée par Radio-Canada. Il explique que ses propos ont été pris « hors contexte » et qu’il souhaitait au fond « que la paix revienne ». Il admet en revanche que le « vocabulaire était inapproprié ».

La circonscription en chiffres

Population totale âgée de 15 ans et plus selon le plus haut diplôme ou grade obtenu

  • Aucun : 14,6 % (Québec : 18,2 %)
  • Études secondaires : 17,7 % (Québec : 21,4 %)
  • Apprenti ou école de métiers : 7,5 % (Québec : 15,8 %)
  • Cégep : 14,4 % (Québec : 17,4 %)
  • Certificat universitaire : 3,6 % (Québec : 3,7 %)
  • Baccalauréat : 24 % (Québec : 14,6 %)
  • Maîtrise ou doctorat : 18,3 % (Québec : 8,9 %)

Revenu des ménages 

Ménages privés comptant une personne

  • Revenu moyen : 56 300 $ (Québec : 47 680 $)
  • Revenu médian : 41 600 $ (Québec : 38 800 $)

Ménages privés comptant deux personnes ou plus

  • Revenu moyen : 120 300 $ (Québec : 116 000 $)
  • Revenu médian : 91 000 $ (Québec : 97 000 $)

Ces données proviennent du recensement du Canada de 2021 de Statistique Canada.

Source : Élections Québec

Répartition des hommes et des femmes 

Hommes

Saint-Henri–Sainte-Anne : 49,9 % (Québec : 49,4 %)

Femmes

Saint-Henri–Sainte-Anne : 50,1 % (Québec : 50,6 %)

Familles

  • En couple sans enfant : 44,6 %
  • En couple avec enfants : 38,9 %
  • Monoparentales : 16,5 %