(Ottawa) Fermer le chemin Roxham, c’est ce que « nous voulons tous », mais la solution passe par la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs, insiste Justin Trudeau, qui fait face à une pression accrue de la part de François Legault à Québec et de Pierre Poilievre à Ottawa.

Après avoir reçu une missive de son homologue québécois l’exhortant à mettre fin aux arrivées irrégulières de migrants au chemin Roxham, puis s’être fait sommer par le chef de l’opposition officielle de fermer d’ici 30 jours la route de la Montérégie, le premier ministre Trudeau a plaidé qu’il n’y avait pas de remède miracle.

« Fermer Roxham Road, c’est ce que nous voulons tous. Mais il n’y a pas de solution simpliste là-dedans », a-t-il déclaré mercredi en point de presse en Ontario, affirmant que son gouvernement y travaillait « depuis des années », réitérant que la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs était un passage obligé.

« Est-ce que quelqu’un pourrait ériger des barricades, un grand mur ? Oui. Si Pierre Poilievre veut construire un mur au chemin Roxham, quelqu’un pourrait le faire. Le problème, c’est qu’on a 6000 kilomètres de frontière non militarisée avec les États-Unis », a illustré Justin Trudeau.

Sans s’avancer sur les changements qu’Ottawa souhaiterait voir dans le pacte bilatéral avec Washington, M. Trudeau a tout de même souligné que durant la pandémie de COVID-19, alors que le chemin Roxham était verrouillé, il y avait en place « un modèle qui était raisonnablement efficace ».

Et on a réalisé de « réels progrès » dans les pourparlers qui durent depuis « plusieurs mois » avec les États-Unis, a assuré Justin Trudeau, qui s’apprête à recevoir au Canada le président américain, Joe Biden, quelque part en mars.

Le premier ministre fédéral a tenu à saluer le Québec pour sa collaboration exemplaire dans ce dossier.

Des pressions d’une colline à l’autre

Mais à Québec, justement, François Legault tape du pied. En plus d’avoir envoyé dimanche une missive à son vis-à-vis fédéral, il a publié une lettre ouverte dans le quotidien The Globe and Mail, qui est d’abord parue en ligne, mardi, puis dans l’édition papier mercredi.

Sur la colline d’Ottawa, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a fait écho à cette impatience, sommant Justin Trudeau de fermer le chemin « d’ici 30 jours ». Il a soutenu que pour y arriver, il n’était « pas nécessaire » de revoir ou de suspendre l’Entente.

« On est un pays. Un pays a des frontières. Le premier ministre est responsable des frontières », a-t-il dit.

Le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a vite balayé la requête du revers de la main. En l’absence d’un plan « pour en gérer les conséquences », bloquer le chemin Roxham « ne résoudra pas le problème [et] ne fera qu’encourager d’autres passages irréguliers », a-t-il souligné.

Changer l’Entente sans la négocier ?

Cette analyse est partagée par plusieurs experts, dont Maureen Silcoff, avocate spécialisée en immigration de Toronto. « La cause fondamentale du problème, ce n’est pas l’afflux de toutes ces personnes, c’est l’Entente. C’est elle qui attire les gens au chemin Roxham », selon elle.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Des demandeurs d’asile sont accueillis par des policiers au chemin Roxham, le 9 février dernier.

Une avenue pour favoriser une meilleure répartition des demandeurs d’asile à travers le pays serait d’invoquer unilatéralement l’article 6, qui permet à chaque partie « d’examiner toute demande du statut de réfugié qui lui a été faite si elle juge qu’il est dans l’intérêt public de le faire », d’après l’avocate.

« Ça permettrait de disperser les gens d’un océan à l’autre, les gens pourraient se présenter à n’importe quel point d’entrée. Il n’y aurait plus ce besoin pour autant de gens de se présenter au chemin Roxham. Je pense que c’est la meilleure option », croit Mme Silcoff.

Un bémol de Washington

Au concert de voix canadiennes s’est ajoutée celle de l’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen. Et sa note est discordante : non seulement l’envoyé de Washington a-t-il refusé de confirmer qu’il y avait des pourparlers entre voisins, il a en plus semblé minimiser ce qui se joue au chemin Roxham.

L’afflux de demandeurs d’asile, qui ont été près de 40 000 à traverser la frontière au chemin Roxham en 2022, est « un symptôme » du vaste enjeu qu’est celui de la migration irrégulière, a-t-il fait valoir sur les ondes de CBC, mercredi.

« C’est une erreur de penser que l’on peut résoudre le problème en traitant uniquement les symptômes. Il faut traiter les causes sous-jacentes de la migration irrégulière », a commenté le diplomate, assurant tout de même que les États-Unis s’engageaient à avoir des discussions « productives » avec leur voisin au nord.