(Ottawa) Les néo-démocrates se sont rangés du côté des libéraux pour défaire la motion du Bloc québécois sur la légitimité du Québec et des provinces de recourir à la disposition de dérogation. Le premier ministre Justin Trudeau avait indiqué en janvier qu’il envisageait de soumettre cette délicate question à la Cour suprême.

En tout, 174 députés libéraux et néo-démocrates ont voté contre la motion et 142 élus l’ont appuyée. Les conservateurs, incluant leurs neuf députés du Québec, se sont rangés du côté Bloc québécois.

Le député Gérard Deltell a accusé le premier ministre de « distraire l’attention des Canadiens » avec un débat stérile. « Que ce soit préventif ou pas, les lois qui utilisent la clause nonobstant peuvent être contestées et ultimement ça se retrouve en cour, a-t-il fait remarquer avant le vote. Préventif ou pas, ceux qui ne sont pas d’accord avec la loi vont utiliser leur droit de citoyen pour la contester. »

Le Bloc québécois voulait réaffirmer la légitimité du Québec et des autres provinces de recourir à cette disposition, aussi connue sous le nom de « clause dérogatoire » ou « clause nonobstant ». Il avait forcé la tenue d’un débat sur la question jeudi. Sa motion se lisait comme suit : « Que la Chambre rappelle au gouvernement qu’il revient au Québec et aux provinces de décider seuls de l’utilisation de la disposition de dérogation. »

« Par ce geste, ces députés fédéraux tournent le dos à leur propre Constitution, héritée de Pierre Trudeau », a réagi le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, par communiqué à l’issue du vote.

Tous les députés libéraux du Québec ont voté contre à l’exception de Justin Trudeau, qui était en voyage au Yukon, et de la ministre Mélanie Joly qui était absente. Son attaché de presse a indiqué qu’elle était en déplacement. Le seul élu québécois du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, a également voté contre.

Lors du débat jeudi, M. Boulerice, avait fait part de son malaise face à « un certain glissement » lorsque la disposition de dérogation est utilisée pour « s’attaquer au mouvement syndical ».

Le gouvernement de Doug Ford, en Ontario, voulait recourir à la disposition de dérogation l’automne dernier afin d’empêcher environ 50 000 travailleurs de soutien en éducation d’exercer leur droit de grève. Il a fait marche arrière deux semaines plus tard face au tollé soulevé par son initiative.

« La volonté de Justin Trudeau d’aller affaiblir la clause dérogatoire, c’est une volonté de Justin Trudeau d’affaiblir les provinces et singulièrement le Québec », avait soutenu M. Blanchet, quelques heures avant la tenue du vote.

« Il y a une clause dérogatoire qui sert au Québec à essentiellement protéger la spécificité et l’identité du Québec et ce n’est pas parce que le gouvernement Ford a voulu en faire un usage qu’on pourrait réprouver […] qu’il faut abolir l’institution ou abolir la possibilité de recours à la clause dérogatoire », a répondu M. Blanchet à un journaliste qui lui demandait si la clause dérogatoire devrait être mieux encadrée.

Le gouvernement québécois a eu recours deux fois à la clause dérogatoire depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec. D’abord, en 2019 lors de l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) pour interdire le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants. Puis, en 2022 pour tenter de soustraire la loi 96 aux contestations judiciaires. Cette législation fait du français la langue officielle et commune du Québec. Dans les deux cas, les tribunaux seront appelés à trancher.

Cet usage préventif de la disposition de dérogation préoccupe le premier ministre Justin Trudeau au point où il envisage de faire un renvoi à la Cour suprême afin qu’elle se prononce sur cette délicate question. Il y voit une banalisation de la suspension des droits fondamentaux.