(Ottawa) Des experts constitutionnels affirment que le gouvernement fédéral a une certaine marge de manœuvre pour maintenir les 78 sièges du Québec à la Chambre des communes — ou même en ajouter un ou deux —, mais il ne peut garantir que l’influence de la province à la Chambre ne faiblira pas avec le temps sans un amendement constitutionnel approuvé par au moins sept provinces.

Le premier ministre du Québec, François Legault, et le Bloc québécois exigent tous deux que le premier ministre Justin Trudeau intervienne pour s’assurer que le Québec ne perd pas un siège, alors que la carte électorale du pays est redessinée pour refléter les changements dans la population.

Ils sont même allés plus loin, affirmant que la reconnaissance du Québec en tant que nation par la Chambre exige que la province détienne une part constante des sièges à la Chambre des communes à perpétuité, même si sa part de la population du pays diminue.

« Je pense que la nation québécoise mérite un certain niveau de représentation à la Chambre des communes, peu importe l’évolution du nombre d’habitants dans chaque province », a déclaré M. Legault le mois dernier.

Selon la formule actuelle d’attribution des sièges enchâssée dans la Constitution, le directeur général des élections, Stéphane Perrault, a calculé que le nombre de sièges à la Chambre des communes devrait augmenter de quatre pour atteindre 342, et que l’Alberta devrait en compter trois de plus, tandis que l’Ontario et la Colombie-Britannique en gagneraient un. Ces trois provinces ont la croissance démographique la plus rapide au pays.

Parce que la population du Québec a augmenté plus lentement, en partie parce que le gouvernement Legault a coupé dans l’immigration, la formule compliquée veut qu’il perde un de ses 78 sièges. Ce serait la première fois depuis 1966 qu’une province risque de perdre un siège en vertu du redécoupage des circonscriptions, qui est exigé par la Constitution tous les 10 ans après chaque recensement décennal.

M. Perrault n’a aucun pouvoir discrétionnaire dans l’application de la formule. Pour lui, c’est strictement un exercice mathématique.

Mais le gouvernement en place dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire et l’a utilisé dans le passé pour ajuster la formule de temps à autre.

La dernière fois que la formule a été ajustée, c’était en 2011, sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper. À cette époque, le gouvernement avait ajouté 27 sièges supplémentaires pour les trois provinces à la croissance la plus rapide, qui étaient considérablement sous-représentées.

Et il en avait attribué trois de plus au Québec, pour maintenir la part de sièges de la province à 23 %, soit à peu près l’équivalent de sa part de la population.

Une telle modification relativement mineure de la formule nécessite un amendement constitutionnel, bien qu’il puisse être effectué unilatéralement par le biais d’une loi adoptée par le Parlement, sans demander l’approbation d’aucune province.

Mais il existe d’autres exigences constitutionnelles concernant l’attribution des sièges que le gouvernement fédéral ne peut pas modifier seul. Plus important encore, il ne peut déroger au principe de représentation selon la population aux Communes sans un amendement approuvé par au moins sept provinces représentant 50 % de la population (connue dans le jargon constitutionnel sous le nom de formule d’amendement 7-50).

La représentation proportionnelle n’a jamais été strictement appliquée en raison d’autres dispositions constitutionnelles garantissant qu’une province n’aura jamais moins de sièges à la Chambre qu’elle n’en a au Sénat non élu et qu’aucune province n’aura jamais moins de sièges aux Communes qu’en 1986.

Ces dispositions ont entraîné des distorsions. Par exemple, la petite Île-du-Prince-Édouard compte encore quatre sièges à la Chambre des communes, même si cela a pour résultat que certaines circonscriptions de l’Ontario desservent des populations plus importantes que l’ensemble de la province insulaire.

Ces distorsions donnent au gouvernement fédéral « une très faible marge de manœuvre » pour peaufiner la formule d’attribution des sièges sans s’en tenir précisément à la représentation proportionnelle, selon le professeur de droit constitutionnel de l’Université d’Ottawa Benoit Pelletier, un ancien ministre à l’Assemblée nationale.

« Cela pourrait donner au Québec un siège ou deux sièges ou même trois sièges de plus qu’il n’en aurait normalement, mais vous ne pouvez pas aller beaucoup plus loin sans […] un amendement constitutionnel (7-50) », a-t-il expliqué en entrevue.

M. Pelletier a d’ailleurs déclaré que le fait de bricoler à plusieurs reprises la formule pour donner au Québec un siège ou deux de plus que sa population exige après chaque recensement pourrait conduire avec le temps à une contestation constitutionnelle selon laquelle le gouvernement fédéral a progressivement violé le principe de la représentation proportionnelle.

« Je ne sais pas où est la limite parce que cela n’a jamais été décidé, par exemple, par la Cour suprême du Canada […], mais il y a une limite à ce que vous pouvez faire », a-t-il souligné.

Le politologue de l’Université de Waterloo Emmett Macfarlane, spécialisé en droit constitutionnel, a convenu que la formule d’attribution des sièges peut être ajustée unilatéralement par le Parlement, « mais elle doit rester dans une marge raisonnable pour assurer la proportionnalité ».

Déterminer ce qui se trouve dans une marge raisonnable est « vraiment délicat », a ajouté M. Macfarlane. Mais M. Pelletier et lui conviennent que garantir au Québec une part spécifique de sièges à la Chambre des communes, quelle que soit sa part de la population, irait clairement au-delà de ce que le Parlement peut faire seul.

« C’est un amendement 7-50 », a déclaré M. Pelletier.

« Une fois que vous commencez à violer la représentation par population et que vous promulguez en fait une politique ou un changement constitutionnel pour protéger une province au détriment des intérêts des autres […] Je crois que c’est à ce moment qu’un amendement constitutionnel devient nécessaire et que ça va plus loin que seulement le Parlement qui le fait unilatéralement », a dit M. Macfarlane.

M. Pelletier a noté que l’accord constitutionnel de Charlottetown de 1992 comprenait une garantie que le Québec aurait 25 % des sièges à la Chambre des communes à perpétuité. Mais c’était une concession faite par d’autres provinces en échange de l’acceptation par le Québec de ce qu’elles voulaient, y compris un nombre égal de sièges pour chaque province au Sénat.

L’accord a finalement été rejeté lors d’un référendum national, notamment par une majorité d’électeurs québécois.

M. Pelletier s’est dit « franchement surpris » que M. Legault exige une part garantie des sièges à la Chambre des communes pour le Québec alors qu’il doit savoir que cela signifierait négocier un amendement constitutionnel avec d’autres provinces qui apporteraient leurs propres demandes à la table.

« Vous ne pouvez pas penser sérieusement que vous allez obtenir 25 % ou peut-être un peu moins de députés sans faire de concessions aux autres partenaires fédératifs », a-t-il déclaré.

Compte tenu de la réticence des dirigeants politiques à rouvrir la boîte de Pandore constitutionnelle, M. Pelletier soupçonne que le gouvernement Trudeau présentera une loi pour ajuster la formule de manière à maintenir l’attribution actuelle de 78 sièges au Québec.

Pour éviter de trop s’éloigner du principe de représentation proportionnelle, M. Macfarlane a déclaré que le maintien des 78 sièges du Québec pourrait nécessiter de donner aux trois provinces à croissance rapide encore plus de sièges que prévu actuellement.

De cette façon, « le Québec est toujours dépassé en proportion (des sièges à la Chambre des communes), mais la province ne fait pas face à l’indignité de se voir retirer un siège », a-t-il déclaré.

Jusqu’à présent, le gouvernement Trudeau a eu peu à dire sur la question. M. Trudeau a indiqué que le gouvernement « examinait attentivement » la redistribution et qu’il avait clairement « entendu les préoccupations d’un certain nombre de personnes, dont des Québécois » au sujet de la formule actuelle d’attribution des sièges.