(Ottawa et Morin-Heights) Présentée par Ottawa comme une mesure nécessaire « pour protéger l’intégrité du système d’immigration » du pays, la décision du gouvernement Trudeau d’imposer de nouveau un visa aux ressortissants mexicains est saluée par le premier ministre du Québec, François Legault, pour qui il s’agit d’un « pas dans la bonne direction ».

Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a confirmé jeudi le retour de cette mesure jugée inacceptable par les autorités mexicaines au terme de plusieurs semaines de consultations et de réflexion.

Elle entrera en vigueur jeudi à 23 h 30 et pourrait être revue si les demandes d’asile jugées abusives de la part de voyageurs mexicains déclinent d’une manière substantielle, a-t-il indiqué.

En expliquant la décision d’Ottawa en conférence de presse, le ministre a souligné que les Mexicains représentaient 17 % de tous les demandeurs d’asile en 2023 et que la majorité de leurs demandes sont rejetées ou encore retirées par les demandeurs.

En 2023, quelque 25 000 Mexicains ont réclamé l’asile après avoir foulé le sol canadien. C’est plus du triple qu’en 2022 (7483) et quatre fois plus qu’en 2019 (5634). L’augmentation est telle que le Mexique occupe maintenant le deuxième rang des pays d’où proviennent les demandeurs d’asile, selon l’Agence des services frontaliers du Canada.

La tendance était tout simplement intenable, a fait valoir le ministre, qui a reconnu que cette décision a été mal accueillie par le Mexique.

Un visa avait été imposé par le gouvernement Harper aux ressortissants mexicains, mais les libéraux de Justin Trudeau l’ont aboli peu de temps après leur arrivée au pouvoir en 2015.

« On ne vise pas un pays. On fait un suivi constant de nos politiques de visa pour les pays sans visa, les pays pour lesquels un visa est exigé ainsi que les tendances migratoires. Nous voulons préserver l’intégrité et la durabilité de notre système d’immigration et de statut de réfugié. C’est une priorité pour nous », a-t-il affirmé.

Certaines exceptions

Pour limiter les conséquences de cette nouvelle mesure, le gouvernement Trudeau a prévu certaines exceptions, notamment pour les étudiants ainsi que pour les travailleurs agricoles, qui viennent en grand nombre du Mexique et qui sont indispensables pour plusieurs entreprises.

« Les Mexicains qui souhaitent travailler au Canada continueront d’avoir accès à un grand nombre de voies d’accès à l’emploi existantes, notamment le programme des travailleurs étrangers temporaires et le programme de mobilité internationale », a-t-il dit.

En outre, les citoyens mexicains désirant venir au Canada pourront demander une autorisation de voyage électronique s’ils ont détenu un visa canadien au cours de la dernière décennie ou s’ils ont un visa américain valide. Selon M. Miller, ces conditions feront en sorte que la majorité des citoyens mexicains pourront venir en se servant d’une autorisation de voyage électronique.

Le Canada compte aussi augmenter le nombre de centres de demande de visa au Mexique. Le ministre a d’ailleurs prononcé quelques phrases en espagnol durant la conférence de presse pour mieux se faire comprendre.

En colère, le président du Mexique Andrés Manuel López Obrador a l’intention de boycotter le prochain sommet des Trois Amigos, qui doit avoir lieu à Québec en avril, a rapporté Radio-Canada mercredi soir.

Ces dernières semaines, deux missions mexicaines de haut niveau avaient été envoyées au Canada « pour réitérer l’importance de protéger les personnes victimes de fraude, de traite, de contrebande et de désinformation », a indiqué le ministère mexicain des Affaires étrangères.

« Le Mexique regrette cette décision et estime qu’il existait d’autres options avant de mettre en place cette mesure », et il « se réserve le droit d’agir en réciprocité », a prévenu Mexico dans un communiqué publié jeudi.

« Le Mexique est un pays souverain qui a le droit à prendre les mesures qui lui plaît », a réagi Marc Miller.

« Ceci dit, je n’ai pas eu indication, mis à part évidemment le fait que je confirme qu’ils ne sont pas contents, je n’ai pas eu d’indication quand j’ai parlé à la ministre des Affaires étrangères qu’il y aurait des mesures commerciales qui seraient mises en vigueur », a-t-il poursuivi.

« Évidemment, ce sont des relations qui se sont améliorées depuis la dernière décennie. C’est dans notre intérêt commun de pas les endommager. Mais c’est clair qu’ils sont mécontents. Ils ont une gamme de choix à faire dans les jours et les semaines à venir », a-t-il ajouté.

« Un pas dans la bonne direction »

De passage à Morin-Heights, dans les Laurentides, pour y rencontrer des élus locaux, le premier ministre du Québec, François Legault, a salué « un pas dans la bonne direction ».

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Francois Legault

« Le gouvernement fédéral pose un bon geste […], mais que fait-on avec les 528 000 immigrants temporaires et les 160 000 qu’on a actuellement [au Québec] ? Ça va prendre une réaction beaucoup plus grande et je vais rencontrer M. Trudeau dans les prochaines semaines. Il faut qu’on répartisse ces gens-là dans les autres provinces », a-t-il martelé.

Face à la réaction du gouvernement mexicain, François Legault dit « que les vrais touristes mexicains qui veulent venir nous visiter, on veut les avoir ». « En administrant les visas, on va être capable de s’assurer que ce sont de vrais touristes et pas des demandeurs d’asile », estime-t-il.

Le chef de la Coalition avenir Québec a aussi profité de l’occasion pour décocher une flèche en direction du Parti québécois qui « nous disait : vous ne convaincrez pas le gouvernement fédéral de remettre en place un visa pour qu’il y ait moins de Mexicains qui deviennent des demandeurs d’asile ».

Vives pressions

Depuis quelques mois, le gouvernement Trudeau faisait l’objet de vives pressions de la part du Québec, du Bloc québécois et du Parti conservateur afin d’imposer à nouveau un visa aux ressortissants mexicains. Les États-Unis aussi exigeaient aussi un retour des visas, d’autant qu’un nombre important des ressortissants mexicains qui réclamaient l’asile prenaient plus tard le chemin vers les États-Unis.

Le premier ministre du Québec, François Legault, avait d’ailleurs envoyé une lettre à son homologue fédéral Justin Trudeau à ce sujet au début de l’année. Dans sa missive, M. Legault a soutenu que le nombre de demandeurs d’asile arrivant au Québec est « excessif » et que la situation est devenue « insoutenable », de sorte que la province est sur le point d’atteindre son « point de rupture ».

Il réclamait une répartition « équitable » des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire canadien et disait s’attendre à ce qu’Ottawa rembourse les 470 millions affectés à l’accueil des demandeurs d’asile en 2021 et 2022, et qu’il fasse de même pour les années

À Québec, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, a salué la décision d’Ottawa de réimposer le visa.

« En 2023, le Québec a accueilli près de la moitié des demandeurs d’asile arrivés au Canada. De ce nombre, 25 % étaient des ressortissants mexicains. Cette annonce du gouvernement fédéral est la preuve que le Québec arrive à se faire entendre à Ottawa. C’est une étape importante qui vient d’être franchie, mais ça ne réglera pas tout », a écrit la ministre sur le réseau X.

Avec Mélanie Marquis, La Presse