Des personnes ayant côtoyé Christian Bordeleau tracent un long parcours parsemé de tromperie

En 2015, Christian Bordeleau a affirmé sous serment, dans un litige l’opposant à ses anciens partenaires d’Intangible Gouvernance, qu’il avait occupé les fonctions d’« économiste en chef » au sein de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), où il aurait été « l’Innovateur en chef du Centre d’excellence sur le financement hypothécaire ». Il a aussi assuré, devant la juge Andrée St-Georges, avoir été « économiste en chef » à la société comptable Raymond Chabot Grant Thornton.

Contactées par La Presse, les deux organisations ont déclaré que, bien que M. Bordeleau ait travaillé pour elles, il n’a jamais occupé de tel poste ou eu de tel titre.

Quant au Centre d’excellence sur le financement hypothécaire que M. Bordeleau dit avoir mis sur pied et présidé, il s’agit en fait d’une « communauté/un groupe LindkedIn » créé par l’équipe dont il faisait partie au sein de la SCHL, a indiqué par courriel la porte-parole, Audrey-Anne Coulombe. « Ce groupe n’est plus actif », a-t-elle précisé.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UN RAPPORT ANNUEL DE LA SCHL

Dans ce document de la SCHL, Christian Bordeleau est qualifié de « spécialiste principal, Financement de l’habitation et chef, Symposium sur le financement de l’habitation à l’échelle internationale ».

Les ex-partenaires d’Intangible Gouvernance qui l’ont poursuivi en 2015, Jocelyn Caron et Laura Cliche, alléguaient qu’il n’avait à l’époque injecté aucune somme d’argent dans l’entreprise de consultants en éthique, mais s’était attribué 75 % des actions.

Cette « position ultra-dominante » lui a permis de « régner en roi et maître » sur l’entreprise, de se faire des prêts en argent sans informer le conseil d’administration et de se faire rembourser des dépenses personnelles injustifiées, avançaient les poursuivants.

M. Bordeleau soutient qu’il portait à cette époque l’entreprise « à bout de bras », ce qui l’a poussé à avancer des sommes qu’il s’est remboursées « lorsque la situation l’a permis ».

Lors de son témoignage dans cette affaire, Christian Bordeleau a notamment admis qu’il s’était fait rembourser une facture de 420 $ pour emmener des fournisseurs de son entreprise d’éthique et de gouvernance… au bar de danseuses nues le Kingdom.

« Il n’y a rien d’illégal dans un bar de danseuses », se défend M. Bordeleau. « On n’a rien fait qui n’était pas usuel dans le milieu des affaires en 2012-2013. »

Faux certificat de parachutiste

Des documents judiciaires montrent que M. Bordeleau a par ailleurs plaidé coupable à des accusations de fabrication d’un faux diplôme devant la Cour martiale du Canada, en 2005, alors qu’il était militaire. Selon l’acte d’accusation, il a cousu des ailes de parachutiste et une médaille du Service spécial de l’OTAN (réservée aux militaires qui ont servi dans des circonstances exceptionnelles) sur son uniforme, à l’occasion d’un défilé. Quand ses supérieurs l’ont interrogé à ce sujet, il a fourni un faux certificat pour son cours de parachutiste, qu’il a reconnu plus tard avoir fait faire par « un ami civil infographiste ».

Les erreurs qui l’ont conduit à « s’enliser dans son mensonge » sont « attribuables à l’orgueil », a tranché le juge militaire Mario Dutil, qualifiant Christian Bordeleau de « jeune homme particulièrement intelligent [et] confiant ».

« Il y a 24 ans, j’ai fait une erreur de jeunesse », admet par courriel M. Bordeleau, qui assure néanmoins avoir été « libéré avec mention honorable » de l’armée.

Le « Top Gun » de l’immobilier

Dans le milieu immobilier, les titres pompeux et les publications autocongratulatoires de Christian Bordeleau ont fait du chemin. « Entoures toi de Top Gun ! […] Si tu es “desperate” au point d’aller écouter des poids plume intellectuel pour ensuite investir et te faire mal, appelles moi, je vais t’aider Pro Bono une heure […] Entoures toi de gens qui ont de vraies lettres de noblesses », se vantait-il dans une publication (bourrée de fautes de français) sur Facebook.

Michaël Blais, un entrepreneur de Victoriaville qui cherchait des occasions d’affaires en construction, a mordu à l’hameçon après avoir rencontré Christian Bordeleau dans un évènement organisé par MREX. « J’ai été impressionné par son parcours, admet-il. Il avait travaillé à la SCHL, chez Raymond Chabot Grant Thornton, des articles de journaux disaient qu’il avait créé une norme anticorruption. Tu te fies à lui ! »

J’étais aussi impressionné par son train de vie. Tu te dis : il a pour 1 million de chars dans la cour, il vit dans un quartier huppé, ça a du sens.

Michaël Blais, entrepreneur

Les deux hommes se sont associés dans deux projets immobiliers, mais M. Blais dit qu’il s’est vite rendu compte que quelque chose clochait. En avril 2021, M. Bordeleau s’est fait un virement de 35 000 $ à même la marge de crédit de leur entreprise conjointe pour payer la construction d’une piscine creusée à sa résidence personnelle, allègue une poursuite de 493 000 $ déposée par M. Blais en septembre 2023.

M. Bordeleau reconnaît avoir retiré cette somme parce que « Blais est devenu erratique », dit-il, ajoutant : « J’ai commencé à craindre qu’il vide la marge de crédit qui nécessitait une seule signature. »

Extorsion et Hells Angels

Michaël Blais soutient dans sa poursuite qu’il a été victime d’une « tentative d’extorsion » de la part de Christian Bordeleau, qui aurait refusé de lui rembourser les 38 750 $ qu’il avait investis en mise de fonds dans un des immeubles, sauf s’il lui redonnait l’équivalent en « cash, en petites coupures » ou en « petits amis bruns ».

Christian Bordeleau, chez qui les huissiers ont saisi deux motos Harley-Davidson, « se vantait que son père, un tenancier de bar en affaires avec des Hells Angels, était proche de ceux-ci et que ces derniers lui étaient redevables sur demande », affirme le document judiciaire. Michaël Blais y a cru, mais plusieurs personnes qui se sont confiées à La Presse sous le couvert de l’anonymat pour ce reportage croient qu’il n’entretient pas vraiment de liens avec le crime organisé.

« Mon père est décédé. Par respect pour feu mon père, je crois qu’on peut le laisser en dehors de cette campagne de salissage », demande M. Bordeleau, sans préciser si cette affirmation est vraie ou fausse.

Un lanceur d’alertes ?

Un rapport d’analyse préparé par la firme Forensic Restitution pour la défense de Christian Bordeleau affirme qu’il est victime d’un congédiement illégal parce qu’il a agi comme « sonneur d’alarme » en dénonçant des « actes illégaux » commis par les dirigeants de MREX.

Le 7 octobre 2022 : Un courriel déposé en preuve montre que M. Bordeleau avait chargé un avocat de le représenter dans un litige qui a éclaté entre ses partenaires et lui. Il disait alors être atteint d’un « cancer à un stade avancé ». « J’ai 3 ans à vivre à moins d’un miracle, donc si vous voulez un shit show nucléaire, j’ai pu rien à perdre. »

Le 10 octobre 2022 : La direction de MREX envoie par huissier une lettre à Christian Bordeleau le sommant de remettre sa « démission immédiate » pour s’être accordé ses « suppléments salariaux injustifiés ».

Le 12 octobre 2022 : M. Bordeleau s’adresse à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier (OACIQ) pour rapporter que MREX pirate les données de sa plateforme Centris afin d’alimenter illégalement sa propre base de données payante. La direction de MREX affirme que « c’est pourtant [M. Bordeleau] qui gérait les aspects légaux de la société et qui a présenté son propre juriste » pour confirmer que MREX utilisait légalement les données de Centris.

Le 11 novembre 2022 : La situation est devenue extrêmement tendue entre M. Bordeleau et ses partenaires. « Si je reçois un huissier [ou] un recours […] je détonne ma veste d’explosifs », menace-t-il dans un message adressé à l’équipe de MREX.