Seul établissement postsecondaire autochtone au Québec, le cégep Kiuna a ouvert une antenne à Wemotaci, en Mauricie, sous forme de projet pilote, l’an dernier. L’expérience est confirmée – et tentée ailleurs – cette année.

« Nous voulons faciliter l’accès à l’éducation aux jeunes des communautés isolées », explique Prudence Hannis, directrice générale de Kiuna, un cégep d’Odanak, au Centre-du-Québec. Kiuna est un terme qui signifie « À nous » en abénaki. « C’est plus facile d’étudier en restant dans leur communauté. »

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Prudence Hannis, directrice générale de Kiuna

Une quinzaine d’élèves ont fait des certificats en éducation autochtone à Wemotaci l’an dernier – et elles seront autant cette année. « Ça va vraiment changer les choses pour nous », dit Miguel Kookoo, membre du conseil de Wemotaci. « Il y a de grands besoins de formation. Nos jeunes vont pouvoir avoir une vie professionnelle ici, rester proches de leurs familles, de leur culture. » En plus de la cohorte en éducation, une cégépienne fait une attestation en administration et une autre un programme collégial complet (DEC).

Véronique Pittikwi, l’agente de mobilisation scolaire de la classe de Wemotaci, note que la plupart des élèves – toutes des femmes pour le moment – sont de jeunes mères. « Elles peuvent rentrer faire manger leurs enfants le midi. Elles ont presque le même horaire qu’eux. Après, elles pourront travailler à la garderie. »

Une classe-satellite a aussi été ouverte cette année à Alma, au Centre Mamik, qui sert la communauté autochtone du Lac-Saint-Jean. « Il y avait des étudiants qui ne pouvaient pas quitter la région, souvent pour des raisons familiales, dit Mme Pittikwi. Alors, on a ouvert une classe pour cette année. Je ne sais pas si elle reviendra l’an prochain. »

Le cégep Kiuna a été marquant dans le parcours de plusieurs Autochtones, dont Miguel Kookoo, de Wemotaci. « J’avais fait une formation en traitement de l’eau et j’ai travaillé pendant cinq ans, raconte-t-il. Ma blonde, qui est anishnabe, a décidé de faire une formation en toxicomanie à Kiuna. Je l’ai suivie l’année suivante. Ça m’a redonné le goût d’étudier. Mes cours sur l’histoire des revendications et des traités autochtones m’ont mené à un bac en droit à l’Université de Sherbrooke. Je suis revenu à Wemotaci quand j’ai été élu conseiller. J’assiste le vice-chef sur ces questions. »

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Le cégep Kiuna a été marquant dans le parcours de plusieurs Autochtones.

Héritier du collège Manitou

« Dans les années 1970, il y avait eu le collège Manitou dans les Laurentides, mais ça n’avait duré que quelques années », observe Prudence Hannis. Avant l’ouverture du cégep Kiuna, « ça faisait presque 20 ans qu’il y avait une volonté de refonder un établissement postsecondaire autochtone au Québec ».

Le collège Manitou a ouvert en 1973 sur une ancienne base militaire servant à des tests de missiles, qui est aujourd’hui le pénitencier fédéral de La Macaza. Aux prises avec des déficits chroniques, Manitou a fermé ses portes fin 1976. En tout, il a formé une centaine d’élèves, en anglais et en français.

Fondé en 2011, Kiuna est en voie de former les leaders autochtones de demain, justement à l’instar du collège Manitou, estime Emmanuelle Dufour, anthropologue à l’Université de Montréal.

« Ghislain Picard et Lise Bastien, entre autres, ont étudié à Manitou », dit Mme Dufour. M. Picard est chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador depuis 1992. Mme Bastien a longtemps dirigé le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN).

Au collège Manitou, « il y avait certainement des problèmes de gestion, dit Mme Bastien. C’était un leitmotiv des Affaires indiennes, mais on ne précisait jamais quels étaient les problèmes de gestion. Une chose est sûre, le gouvernement ne voulait pas un foyer d’activisme autochtone au Québec ».

Selon Mme Dufour, le coup de grâce a été la décision d’Ottawa d’attribuer les fonds du collège Manitou aux différentes communautés. « On leur a dit : “Si vous voulez continuer à financer Manitou, c’est votre décision” », dit Mme Dufour.

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Jacques Watso

Vers des formations techniques ?

Depuis 12 ans, Kiuna a transformé Odanak, selon Jacques Watso, membre du Conseil des Abénakis d’Odanak. « Ça nous a permis de tisser des liens avec toutes les communautés. Et évidemment, ça permet aux jeunes de rester sur place, d’avoir la formation nécessaire pour les emplois qu’il y a ici. » De futures usines de batteries électriques, prévues non loin d’Odanak, font imaginer à M. Watso des formations techniques.

J’ai vu des jeunes sortir de Kiuna grandis, avec une fierté de leur identité plus marquée.

Lise Bastien

Elle-même est arrivée « sur le pouce » à Manitou, à 18 ans, après avoir abandonné le secondaire. « De la même manière que Kiuna, même si Manitou a duré seulement quatre ans, ça a fait une grande différence pour plein de gens. »

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Depuis 12 ans, Kiuna a transformé Odanak, selon Jacques Watso, membre du Conseil des Abénakis d’Odanak.

Des établissements autochtones dans l’ouest du Canada

Dans l’ouest du Canada, les établissements postsecondaires autochtones sont apparus un peu après Manitou et n’ont jamais fermé, selon Sheila Carr-Stewart, de l’Université de l’Alberta, qui a publié en 2020 le recueil Knowing the Past, Facing the Future sur l’éducation autochtone.

« Ça fait qu’on voit beaucoup de professeurs autochtones dans les universités des Prairies et de Colombie-Britannique », dit Mme Carr-Stewart.

L’écart dans la fréquentation d’établissements postsecondaires entre Autochtones et non-Autochtones est pourtant moins élevé dans l’est du Canada que dans les Prairies et en Colombie-Britannique, selon une étude de Statistique Canada parue en juin. C’est probablement dû, selon Mme Carr-Stewart, à la fréquentation des universités non autochtones par les Autochtones en Ontario, au Québec et dans les provinces atlantiques.

En savoir plus
  • 150
    Le cégep Kiuna a remis 150 diplômes depuis sa création en 2011.
    Source : cégep Kiuna