Pour leur protection, il faut retirer les articles de loi qui empêchent les migrantes de travailler dans l’industrie du sexe, a conclu un comité fédéral sur les droits de la personne, il y a plus d’un an et demi. Depuis, aucun changement n’a été apporté par le gouvernement.

La loi sur l’immigration expose « injustement les travailleuses et travailleurs du sexe migrants à un risque élevé de violence et de danger en les empêchant de signaler ces incidents sans crainte d’être expulsés », a statué en juin 2022 le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.

Consultez le rapport du Comité

Quelques mois plus tard, le gouvernement fédéral a répondu que plusieurs ministères – dont le ministère de l’Immigration – examineraient les options pour abroger ces articles. Or, depuis, aucune suite n’a été donnée à la recommandation.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) n’a jamais répondu aux demandes de La Presse.

Présentes dans l’industrie

Des modifications à la loi sur l’immigration sont d’autant plus importantes qu’il y a toujours eu beaucoup d’immigrantes dans l’industrie du travail du sexe, observe Brittany*. Cette dernière travaille depuis 18 ans dans des salons de massage et à titre d’indépendante.

Au salon où Brittany a travaillé jusqu’à il y a un an, situé dans le Village, à Montréal, la majorité des travailleuses parlent espagnol et anglais, raconte-t-elle, attablée dans un restaurant de la rue Sainte-Catherine. Ces travailleuses ont toutes la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente, a toutefois affirmé à La Presse la gérante du salon.

Il y a beaucoup de filles qui étudient dans divers domaines là-dedans. Pendant la pandémie, beaucoup se sont réorientées vers les soins infirmiers.

Brittany, travailleuse du sexe

De plus en plus nombreuses

Rappelons que le nombre d’immigrants permanents comme temporaires accueillis au Canada dans les dernières années bat des records.

Les femmes immigrantes sont non seulement plus nombreuses, mais la crise du logement et l’inflation précarisent aussi ces nouvelles arrivantes. Et l’appauvrissement est l’un des principaux facteurs menant les femmes vers le travail du sexe, rappelle Sandra Wesley, directrice générale de Stella, un organisme par et pour les travailleuses du sexe.

Or, impossible d’obtenir des données sur le nombre de travailleuses du sexe expulsées du pays, a constaté La Presse.

Les infractions liées au travail du sexe dans la loi sur l’immigration ne constituent pas en soi une interdiction de territoire, a précisé Jacqueline Roby, porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Canada. « ​​En conséquence, ces informations ne sont pas enregistrées dans le système d’immigration. »

Une façon de « jouer sur les mots », dénonce l’avocat Vincent Wong, professeur adjoint à l’Université de Windsor, en Ontario, spécialiste de la question. Car un « manquement à la loi » peut bel et bien devenir un motif d’interdiction de territoire (et donc d’expulsion), selon le même règlement.

L’augmentation fulgurante du nombre d’immigrants ne peut qu’avoir un effet sur le nombre d’arrestations et d’expulsions, selon lui : « Si 1 % des immigrants temporaires sont engagés dans une sorte de travail du sexe, que ce soient les massages érotiques, les webcams, l’effeuillage, et que ce 1 % reste constant, mais que le nombre d’immigrants triple, ça triple aussi le nombre de personnes risquant de se retrouver dans des situations très dangereuses. »

* Prénom de travail