Raphaël « Napa » André avait été élevé dehors, en forêt, au froid. Pour sa mère, une aînée innue de Matimekush-Lac John, qu’il soit mort de froid dans une toilette chimique du centre-ville de Montréal est incompréhensible.

« Il vivait dans le bois, comment pouvait-il être mort comme ça dans le froid ? », a-t-elle dit en innu-aimun, mercredi, des paroles traduites par son ex-belle-fille qui l’accompagnait, Johanne Aster.

Le choc culturel a été total, mercredi, dans la pièce aux murs blancs d’un bâtiment administratif anonyme à l’ombre du pont Jacques-Cartier où se déroulait l’enquête publique sur la mort de son fils.

Repliée sur elle-même dans son fauteuil roulant, habillée de sa jupe à ruban et entourée d’une foule d’avocats tirés à quatre épingles, Suzanne Chemaganish a fait part de son désarroi face à la fin terrible qu’il a connue, à 1200 km d’où il était né.

« Dans notre communauté, il fait froid là-bas. Quand quelqu’un vient cogner, on lui ouvre la porte et on l’accueille, pour ne pas qu’il ait froid », a relaté l’aînée de 85 ans à la santé fragile.

Son témoignage a mis en relief le fossé entre la communauté innue voisine de Schefferville et la métropole.

« En milieu urbain, ce n’est pas facile. Le chef Réal [McKenzie] nous a dit hier à quel point dans la communauté, il y a de l’entraide. Et que dans notre société, c’est ce qu’on doit faire, on doit s’entraider », lui a répondu la coroner responsable de l’enquête, MStéphanie Gamache.

Une tente, du sapinage

Raphaël André, connu sous le surnom de « Napa », a été retrouvé sans vie dans une toilette chimique du secteur Milton-Parc, en janvier 2021, une affaire qui avait secoué et ému la population.

Alors que le Québec était en pleine pandémie et qu’un couvre-feu était en vigueur, l’homme en situation d’itinérance avait été mis à la porte du refuge où il se trouvait vers 21 h. Celui-ci devait fermer en raison des mesures sanitaires.

Une réalité que peine toujours à s’expliquer son frère. « C’est grand, Montréal, comment ça se fait qu’il n’ait pas trouvé une maison ? », s’est demandé Ghislain André, mercredi.

« Quand les policiers lui ont annoncé que Raphaël était décédé, tout de suite, elle a pensé à ses amis. Ils dorment où, qu’est-ce qu’ils mangent ? Elle avait plein de questions », a ajouté l’ex-belle-fille de Suzanne Chemaganish, Johanne Aster.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Marque-page à l’effigie de Raphaël André

Racontant qu’elle était allée visiter l’endroit où son fils avait dormi dans les jours ayant précédé sa mort, le refuge La Porte ouverte, un endroit où les lits « n’avaient pas de draps », l’aînée a émis le souhait que les itinérants « soient bien traités ».

Elle a évoqué la tente dressée non loin de la demeure familiale, à la suite de la mort de son fils. Tapissée de sapinage, avec une porte en toile, comme une invitation à se réfugier des grands vents de la taïga.

« Pour qu’ils aient quelque part où rester »

Suzanne Chemaganish a ensuite salué le travail de la coroner et, de façon plus large, les mesures qui sont prises pour aider les gens dans le besoin, comme l’était son fils. « Pour qu’ils ne deviennent pas comme les personnes qui se promènent un peu partout, surtout les enfants. Pour qu’ils aient quelque part où rester. »

Au terme du témoignage de l’aînée, comme pour briser la barrière invisible qui les séparait, la coroner est descendue du pupitre surélevé d’où elle arbitre les procédures. À genoux, à côté de Suzanne Chemaganish, elle lui a pris la main.

Les remerciements terminés, avocats et membres de la famille sont repartis chacun de leur côté.

Ces derniers ont répondu à quelques questions des journalistes avant d’embarquer dans un taxi. Deux heures d’avion, jusqu’à Sept-Îles, attendaient Suzanne Chemaganish, puis douze heures de train jusqu’à Schefferville.

L’histoire jusqu’ici

  • 17 avril 2021 : le corps sans vie de Raphaël « Napa » André est retrouvé dans une toilette chimique du secteur Milton-Parc, à Montréal.
  • 5 février 2024 : le Bureau du coroner annonce la tenue d’audiences publiques pour examiner les circonstances ayant mené à la mort de l’homme innu originaire de la communauté de Matimekush-Lac John.
  • 5 juin 2024 : la mère de Raphaël André témoigne aux audiences publiques qui doivent se poursuivre jusqu’au 14 juin.