Malgré de nombreux antécédents de voie de fait, un historique de trouble mental et des appels à l’aide de la famille d’Isaac Brouillard Lessard, rien ne laissait présager qu’il allait s’en prendre à la sergente Maureen Breau, tuée en service lors d’une opération l’année dernière à Louiseville, a raconté un policier lui-même blessé au cours de l’évènement.

Le 27 mars 2023, Isaac Brouillard Lessard a grièvement blessé un patrouilleur et poignardé mortellement la sergente Maureen Breau avant d’être tué par balle par la police dans son immeuble.

L’agent William Berrouard de la Sûreté du Québec (SQ), agressé au couteau par le suspect, a revisité ce douloureux souvenir lors de son témoignage pour l’enquête du coroner sur la mort de la policière et du suspect qui se poursuivait mercredi à Trois-Rivières.

Il n’avait qu’une ou deux secondes pour réagir au moment du drame. « Je ne savais pas si j’allais mourir. J’aurais beau avoir eu cent cours là-dessus, mais, sur [le terrain], quand ça t’arrive vraiment à toi, ça va trop vite », a-t-il décrit en audience.

William Berrouard et trois de ses collègues – dont la sergente Maureen Breau – avaient comme consigne cette journée-là d’arrêter Isaac Brouillard Lessard pour des menaces de mort envers un membre de sa famille dans les jours précédents.

L’homme de 35 ans a l’air fâché quand l’agent Berrouard cogne à sa porte. Le suspect est seul dans son minuscule appartement en désordre, où règne une forte odeur de cannabis. Il a à peine le temps de lui mentionner son droit au silence que le suspect se met à crier qu’il est schizophrène et attaque le policier au couteau. L’agent recule, couvert de sang.

Ça a pris une fraction de seconde. Je me dis, ça y est, c’est la fin.

L’agent William Berrouard, de la SQ

Il se sert d’un matelas trouvé au sol comme bouclier. Le patrouilleur blessé entend des coups de feu, mais ne voit rien de ce qui se passe. Il ne sait pas encore que Maureen Breau l’a entendu crier et a décidé d’intervenir. Il ignore à ce moment qu’elle a été poignardée par le suspect. Ce dernier est abattu par deux des quatre policiers présents en raison du danger imminent.

La sergente Breau perd du sang, peine à se tenir debout, et l’agent Berrouard est sous le choc. Pourtant, les ambulances sont arrivées tranquillement sans gyrophares.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La sergente Maureen Breau

L’agent Berrouard était au courant des nombreux antécédents de voie de fait et du tempérament d’Isaac Brouillard Lessard, mais ne savait rien de son humeur au moment de se rendre chez lui pour l’arrêter, a-t-il précisé à Me Géhane Kamel, coroner qui préside l’enquête.

Il avait déjà eu affaire à M. Brouillard Lessard, un homme seul, isolé et qui n’avait pas d’amis, selon son témoignage.

Rien ne laissait supposer une crise de sa part la journée du drame, a-t-il souligné à MKamel.

L’agente Frédérique Poitras, qui a aidé Maureen Breau à sortir de l’immeuble, a admis mercredi avoir fait face à de nombreux appels où la santé mentale était au cœur du problème dans sa carrière. Il y avait souvent un enjeu, mais pas de menace évidente. « On voit que ça ne va pas bien, mais il n’y a pas de danger imminent. On doit se rendre au moment où il y a un acte criminel pour agir. Pourquoi on n’aurait pas plus de pouvoir ? », s’est-elle questionnée.

On est là pour assurer la sécurité des autres, mais on ne se sent même pas en sécurité.

L’agente Frédérique Poitras, présente lors de la mort de la sergente Maureen Breau

Intervention trois jours avant le drame

Des agents de la SQ, dont l’agent William Berrouard, étaient déjà intervenus auprès d’Isaac Brouillard Lessard le 24 mars 2023, quelques jours avant le drame. Le père du suspect avait contacté les autorités, car il s’inquiétait pour son fils, sujet à des épisodes de psychose. Deux jours auparavant, le suspect s’était disputé avec sa psychiatre.

Ce dernier était calme et ne se démarquait pas de la majorité des personnes interpellées par le policier dans sa carrière, s’est rappelé le patrouilleur. Il avait également remarqué un sabre japonais dans le logement de M. Brouillard Lessard.

« Je n’avais aucune crainte qu’il pouvait menacer la sécurité d’autrui ou la sienne dans l’immédiat », a poursuivi l’agent Berrouard.

Selon lui, rien ne permettait d’appliquer la loi P-38 permettant d’imposer l’hospitalisation d’un patient qui ne veut pas se faire soigner s’il présente un danger imminent pour lui-même ou pour d’autres personnes. « On ne pouvait pas l’arrêter sans infraction criminelle », a indiqué William Berrouard.

Un appel au 811 dans les limbes ?

La communication entre le système de santé et le corps policier est déficiente, admet le jeune policier.

La coroner Me Géhane Kamel l’a toutefois repris. « Si vous aviez appelé la psychiatre, vous auriez su que le 22 mars, il n’était pas bien. »

Inquiet, le père d’Isaac Brouillard Lessard avait appelé Info-Santé pour aviser que son fils était en psychose. Il souhaitait qu’il soit hospitalisé.

« Ça faciliterait beaucoup nos interventions si on avait un canal de communication avec le 811. On fait nos affaires de notre bord, eux font leurs affaires de leur bord », a expliqué l’agent Berrouard.

Ce n’est pas une pratique courante pour les policiers de communiquer avec le 811 ou les centres hospitaliers, a expliqué l’agent Constant Perreault, l’un des deux policiers qui ont fait feu vers Isaac Brouillard Lessard lors de l’intervention. « On se fait souvent revirer de bord, car c’est le secret professionnel. »

Les policiers ignoraient au moment d’intervenir avec M. Brouillard Lessard qu’ils étaient donc en droit de l’arrêter en cas de non-respect de modalité puisqu’il était sous une ordonnance de la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM).

MKamel a précisé mercredi qu’elle ne faisait pas de reproches, mais cherchait à formuler des recommandations permettant d’éviter qu’un malheur se reproduise. « Depuis le début de cette enquête-là, personne ne se parle. Le 811 ne parle pas à la police, la police ne parle pas au 811. Tout le monde travaille seul », a déclaré la coroner.

L’histoire jusqu’ici

31 décembre 2022 : l’agent Charles Côté de la SQ envoie un courriel à plusieurs policiers du secteur de Louiseville, qualifiant Isaac Brouillard Lessard « d’individu explosif et agressif », avisant ses collègues d’agir avec prudence puisque ce dernier vient de s’installer dans le secteur.

22 mars 2023 : Isaac Brouillard Lessard se dispute avec sa psychiatre.

24 mars 2023 : Des policiers interviennent auprès d’Isaac Brouillard Lessard pour des messages inquiétants envers un membre de sa famille.

Entre le 24 mars et le 27 mars 2023 : Isaac Brouillard Lessard envoie plus de 400 textos confus, décousus et injurieux à sa famille.

27 mars 2023 : La sergente Maureen Breau perd la vie lors d’une intervention policière visant à arrêter Isaac Brouillard Lessard, qui est abattu par un policier au moment des faits.