Audrey Scott-Lafontaine se doutait que quelque chose clochait le 27 mars 2023. Deux policiers agressés et un homme abattu : c’est ce que la paramédic d’expérience savait de l’intervention qui l’attendait cette soirée-là.

Mais l’évènement n’était qu’une « priorité 3 », donnant la fausse impression que la situation n’était pas la plus urgente. Décidément, ce n’était « pas le bon code », a raconté Mme Scott-Lafontaine jeudi matin, alors que l’enquête de la coroner sur les décès de Maureen Breau et d’Isaac Brouillard Lessard se poursuivait.

Pourtant, la sergente Maureen Breau se vidait de son sang et peinait à se tenir sur ses deux jambes cette soirée-là. Son collègue l’agent William Berrouard souffrait d’une lacération à la tête et d’une fracture du crâne. Les deux policiers de la Sûreté du Québec (SQ) avaient été poignardés par Isaac Brouillard Lessard, un trentenaire atteint de schizophrénie. Ce dernier avait été abattu par les policiers en raison du danger imminent.

« Dans notre tête ça fonctionnait pas. Ça allait de soi que c’était plus urgent », a expliqué l’ambulancière et chef d’équipe jeudi matin.

La paramédic a reçu l’appel vers 20 h. Elle se trouvait alors à quelques minutes des lieux du drame.

Le niveau de priorité communiqué ne reflétait pas l’urgence de la situation. Toutefois, cette nuit-là, les équipes ne reçoivent pas d’autres appels simultanément et le transport se déroule sans anicroche.

En priorité 0, ça aurait peut-être changé de 15 secondes. Si on avait eu un autre appel en même temps, il y aurait eu un plus long délai.

Audrey Scott-Lafontaine, ambulancière

Il était 20 h 30 à son arrivée sur place. L’agente Frédérique Poitras de la SQ est avec sa superviseure Maureen Breau. Une scène chaotique marquée dans la mémoire de Mme Scott-Lafontaine.

« Ça crie, ça hurle, les sirènes hurlent », s’est-elle remémorée.

Maureen Breau, couchée au sol, respirait difficilement.

Les paramédics restent avec elle 14 minutes dans l’ambulance, incapables de l’intuber.

« C’est la première fois que ça arrive. J’ai jamais vu ça dans ma carrière de me dire my god c’est vraiment pas le bon code », a réitéré Mme Scott-Lafontaine.

Un code automatique

« Quand j’ai vu la mention de priorité 3, je me suis posé des questions. Je trouvais ça pas très représentatif de la situation », a expliqué Collin Gagné. Le répartiteur au centre de communication en santé de la Mauricie–Centre-du-Québec (CCS-MCQ) a reçu l’appel de la SQ concernant l’attaque. On lui avait mentionné les grandes lignes : policiers blessés, homme neutralisé.

Le court échange entre M. Gagné et le répartiteur de la SQ a été écouté en salle d’audience jeudi.

C’est seulement une fois que j’avais tout rentré que j’ai vu priorité 3.

Collin Gagné, répartiteur

M. Gagné a expliqué à MKamel qu’il n’est pas possible de lui-même assigner un code de priorité quand il reçoit les appels. Il doit plutôt entrer un code d’envoi qui représente la situation : une agression, une douleur abdominale, etc. Une fois ce protocole effectué, le code de priorité est automatiquement généré.

« Les ambulanciers ne peuvent pas changer les codes de priorité », a expliqué le jeune homme.

C’est pourquoi le code de priorité 3 est apparu. Lorsqu’il s’en est rendu compte, M. Gagné a modifié le code d’envoi une fois l’appel terminé. Il lui était impossible de connaître le code de priorité avant que toute cette procédure soit terminée.

Les mains liées face à la santé mentale

L’intervention du système de santé et des corps policiers est uniquement possible lorsqu’un danger imminent est présent, s’est désolé Marylène Ménard, travailleuse sociale pour le Service de police de Trois-Rivières.

« Dès qu’il est question d’un danger hypothétique, d’un geste futur, nos leviers sont de moins en moins présents. »

Elle a donné l’exemple à la coroner d’une personne générant des appels au 911. Celle-ci peut s’être calmée, même si les intervenants savent qu’elle est toujours à risque si elle arrête de prendre sa médication ou recommence à consommer de la drogue.

Les autorités sont alors impuissantes, puisqu’il faut un danger immédiat pour que quelqu’un soit hospitalisé contre son gré ou incarcéré.

« Dès qu’on commence à utiliser des “si”, on ne peut rien faire au niveau criminel. Ni l’hôpital ni les policiers ne peuvent agir », a-t-elle décrit, critique un cadre législatif à son avis limité.