L’ex-patron de Sutton Québec recouvre sa liberté en attendant son procès pour une série d’incendies criminels chez des concurrents. Mais pour sortir de prison, il doit prendre des engagements financiers presque sans précédent totalisant 400 000 $.

Menotté et dans le box des accusés en matinée au palais de justice de Saint-Jérôme, José Christophe Folla en est sorti libre mardi. Il a toutefois dû s’engager à déposer 200 000 $ en garantie.

L’homme d’affaires doit aussi sa liberté immédiate aux « femmes de sa vie ». Sa partenaire depuis 30 ans, Julie Gaucher, devenue présidente de Sutton Québec, se porte caution pour 100 000 $ supplémentaires.

La conjointe de fait de Folla, Céline Levac, fournit elle aussi une caution de la même somme. Le juge Gilles Garneau exige donc un total de 400 000 $ en dépôt et cautions.

« Je n’ai pas en mémoire des cas où on a demandé des montants aussi astronomiques pour des remises en liberté », dit le vétéran du droit criminel Jean-Claude Hébert.

En 2013, sa cliente Pamela Porter avait dû payer 250 000 $ pour sortir de prison. Le juge ne lui avait toutefois pas imposé de cautionnement supplémentaire. Elle était poursuivie pour avoir recyclé l’argent issu des crimes de son mari Arthur Porter, dans le cadre du scandale de corruption entre SNC-Lavalin et le Centre universitaire de santé McGill.

Le cardiologue Guy Turcotte, qui a tué ses deux enfants en 2009, a obtenu sa liberté provisoire en 2014 contre une caution de 100 000 $ de son frère, garantie par une hypothèque, mais sans dépôt d’argent.

Motifs confidentiels

Une ordonnance de non-publication empêche les médias de rapporter les motifs du juge, tout comme les détails de l’enquête policière exposés à ce stade, comme c’est habituellement le cas lors des enquêtes sur remise en liberté.

Pour comprendre la lourdeur des cautions qu’il exige de Folla, « il faut se mettre à la place du juge », dit Jean-Claude Hébert. « Est-ce qu’il considère que la preuve est très forte et [que Folla] risque d’écoper d’une peine assez lourde ? », ajoute-t-il.

Le juge doit aussi minimiser les risques d’évasion. Folla a d’ailleurs dû remettre ses deux passeports, canadien et espagnol, et s’engager à ne pas quitter le Québec.

Le juge marche sur un fil. Il se demande : “Qu’est-ce que j’ai pour ne pas qu’on me dise que je l’ai laissé filer si ça tourne mal ?” Il doit pouvoir dire qu’il a pris une décision raisonnable.

Jean-Claude Hébert, criminaliste

Le criminaliste ajoute que les juges sont devenus soucieux de la confiance du public en la justice. « Est-ce que les engagements financiers vont rassurer le public, ou ça va [l’]énerver ? »

Gros patrimoine

Chose certaine, Folla dispose de moyens considérables pour payer le prix de sa liberté temporaire. La franchise Sutton Québec, qu’il possède avec Julie Gaucher, revendique quelque 1500 courtiers, qui lui acheminent des commissions sur 22 000 transactions par an.

En outre, Folla possède un véritable petit empire immobilier, incluant le Golf Balmoral de Morin-Heights et une part des résidences EVO Montréal, logées dans l’ancienne tour de l’hôtel Delta du centre-ville, évaluées à 77 millions.

Lourde peine potentielle

L’homme d’affaires de 70 ans doit maintenant savourer sa liberté, puisqu’il risque gros : 14 ans de pénitencier. Il est accusé d’avoir commandé une série d’incendies criminels entre 2017 et 2022, puis d’avoir comploté pour en commettre d’autres, jusqu’à ces derniers jours de fin janvier.

Par l’entremise de sa porte-parole, sa partenaire Julie Gaucher se dit « soulagée » après sa libération. « On va laisser le système judiciaire faire son travail et M. Folla va subir son procès, dit Patricia Lemoine Smith. Elle va se concentrer sur la poursuite de la croissance de Sutton Québec. »

PHOTO TIRÉE DU RÉSEAU SOCIAL X

Julie Gaucher, présidente de Sutton Québec

La procureure au dossier, Caroline Buist, dit « accueillir la décision » et devoir « évaluer » la possibilité de faire appel de la libération de Folla.

Ses coaccusés, Benjamin Amar et Alain Marc Nahmias, ont aussi obtenu leur libération lundi.

Les immeubles qu’ils auraient fait incendier appartenaient à des concurrents de Sutton Québec : la famille Léger et Christian Bouvrette, propriétaires de Royal LePage Humania.

Ils étaient associés à Sutton Québec jusqu’en 2017, quand ils ont décidé de changer de franchise. Quelques mois plus tard, les incendies criminels commençaient.

L’un des immeubles brûlés, rue Principale à Saint-Sauveur, abritait une autre franchise, Remax Bonjour. L’immeuble était à un jet de pierre de Royal LePage Humania, et selon nos informations, les victimes et la police croient que les incendiaires s’étaient trompés d’adresse en y mettant le feu, en février 2021.

Folla et ses coaccusés doivent retourner en cour le 8 mars.