Québec pourra nommer des juges unilingues francophones pratiquement partout dans la province, y compris à Montréal et à Laval. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et le nouveau juge en chef de la Cour du Québec viennent de s’entendre pour mettre fin à un long litige sur l’exigence du bilinguisme chez les juges.

« La Cour du Québec a trop souffert du litige sur l’exigence de l’anglais dans les avis de poste à pourvoir. La Cour du Québec ne peut se priver d’un excellent juriste […] même s’il ne possède pas une connaissance parfaite de l’anglais », écrit le juge en chef Henri Richard dans une lettre envoyée mercredi aux juges de sa cour.

« L’important pour nous a toujours été que le fait de ne pas maîtriser une autre langue que le français ne constitue pas une barrière systématique pour accéder à la fonction de juge au Québec », s’est réjoui M. Jolin-Barrette dans une déclaration transmise à La Presse.

La Cour du Québec – sous la direction de la juge en chef Lucie Rondeau – et le ministre s’entredéchiraient depuis presque deux ans sur la question du bilinguisme des magistrats. Faisant valoir l’indépendance judiciaire des juges, la Cour du Québec estimait avoir le droit d’exiger des juges bilingues dans certains districts du Grand Montréal.

Or, le gouvernement Legault s’y opposait farouchement. Le bras de fer s’est vite retrouvé devant les tribunaux. La Cour supérieure a d’abord donné raison à la Cour du Québec, mais le litige se poursuivait toujours cet automne. Le gouvernement avait entre-temps modifié la loi pour empêcher que la maîtrise de l’anglais soit exigée.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Le départ de la juge en chef Lucie Rondeau, qui a terminé son mandat en octobre, a visiblement renouvelé les relations entre Québec et la Cour du Québec. M. Jolin-Barrette et Mme Rondeau entretenaient une relation acrimonieuse depuis plusieurs années.

C’est donc avec l’aide du facilitateur Jacques Chamberland, ex-juge de la Cour d’appel, que le ministre s’est entendu avec le nouveau juge en chef, Henri Richard, sur un « compromis » mettant fin au litige devant les tribunaux. Les parties reconnaissent que l’affectation des juges relève du juge en chef, tandis que les nominations relèvent du gouvernement.

90 % de juges bilingues à Montréal

L’entente instaure un système de pourcentage chez les juges selon les districts judiciaires. Ainsi, 90 % des juges devront maîtriser l’anglais dans les districts de Montréal, Laval, Longueuil, Beauharnois, Gatineau, Terrebonne et Bedford. La question du bilinguisme était particulièrement litigieuse à Longueuil – un appel de candidatures unilingues y avait été suspendu par la Cour supérieure.

L’entente ne crée « aucune difficulté réelle », puisqu’il n’y a pratiquement aucun avocat unilingue francophone dans le Grand Montréal, argumente le juge en chef dans sa lettre aux juges.

« Les pourcentages prévus à l’entente sont éloquents et répondent aux besoins de la Cour du Québec en ne créant aucune difficulté quant aux assignations ou à la confection des rôles », écrit-il dans sa missive obtenue par La Presse.

En pratique, les juges unilingues nommés dans un district où l’anglais est parlé devront s’engager à « perfectionner » leur connaissance de l’anglais.

Dans la plupart des autres palais de justice au Québec, il n’y aura aucune exigence de maîtrise de l’anglais pour les nouveaux magistrats. À l’inverse, cette exigence sera obligatoire seulement dans quelques districts, où les communautés autochtones sont présentes, comme à la Cour itinérante, à Gaspé ou à Labelle.

Dans sa lettre aux juges, le juge en chef se réjouit de « rétablir » la confiance du public envers la Cour grâce à cette entente. Par ailleurs, le processus judiciaire aurait constitué un « poids inutile à porter » pour la nouvelle équipe de direction.

C’est donc un deuxième litige majeur qui se règle entre Québec et la Cour du Québec. En avril, le ministre Simon Jolin-Barrette et la juge en chef Lucie Rondeau s’étaient entendus au sujet de la réforme controversée de l’horaire des juges. Québec avait accepté d’ouvrir 14 nouveaux postes à la magistrature, alors que la Cour du Québec s’engageait à siéger davantage et à respecter certaines cibles.

Cela dit, les conséquences de cette réforme se font toujours sentir devant les tribunaux. En septembre 2022, les juges de la chambre criminelle et pénale ont commencé à siéger moins souvent pour avoir plus de temps de délibération. En pratique, cette décision a contribué à accroître les délais judiciaires.

Plusieurs dossiers se sont conclus par un arrêt du processus judiciaire en vertu de l’arrêt Jordan dans les derniers mois, principalement en raison des délais institutionnels, attribuables aux lacunes du système. Depuis 2022, à Montréal, un procès est généralement fixé de 12 à 14 mois plus tard. Toutefois, la situation s’améliore sur le terrain depuis la nomination de nouveaux juges.

Le Barreau du Québec salue cette entente jugée bénéfique pour la population. « Le Barreau demeure présent pour poursuivre les échanges avec toutes les parties afin de trouver des solutions durables aux enjeux qui pèsent présentement sur notre système de justice », a commenté la bâtonnière Catherine Claveau.