Forcé de démissionner comme candidat et président de la CAQ en 2018 à cause de son implication dans une société de prêts à taux d’intérêt élevés, Stéphane Le Bouyonnec est aujourd’hui sous-ministre. Cet ex-poids lourd du parti de François Legault a pourtant toujours des liens avec l’entreprise. Il devra même expliquer en cour des paiements douteux qu’elle aurait faits, selon le témoignage d’un ancien haut dirigeant, pour rembourser une dette de ses partenaires au crime organisé.

En juin 2018, Le Journal de Montréal révélait que le président de la Coalition avenir Québec (CAQ) était actionnaire et président du conseil d’administration de Finabanx, une société de prêts privés à 87 % d’intérêts et plus. L’entreprise est active seulement au Canada anglais : la pratique est proscrite au Québec.

Candidat dans La Prairie pour son parti, l’homme d’affaires avait « fait une erreur », déclarait alors le futur premier ministre François Legault. Stéphane Le Bouyonnec avait d’abord abandonné ses fonctions à la tête de l’entreprise contrôlant Finabanx. Puis il a finalement démissionné comme président de la CAQ et retiré sa candidature aux élections, au mois d’août suivant.

Réhabilité comme sous-ministre

Cinq ans plus tard, cet ancien pilier de la CAQ est réhabilité dans la haute fonction publique. M. Le Bouyonnec l’a intégrée dès décembre 2020 comme secrétaire général associé, internet haute vitesse, au sein du ministère du Conseil exécutif de François Legault. Puis, en octobre dernier, Québec l’a promu sous-ministre à la Cybersécurité et au Numérique auprès d’Éric Caire.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Le Bouyonnec, François Legault et Nathalie Roy, alors présidente du caucus, dans un ascenseur en mai 2018, en compagnie d’autres membres de l’équipe. La Coalition avenir Québec s’apprête alors à prendre le pouvoir, quatre mois plus tard. Mais ce sera sans Stéphane Le Bouyonnec, alors président du parti et candidat dans La Prairie, qui a dû démissionner en août.

Des poursuites entre les actionnaires de Finabanx permettent pourtant d’apprendre qu’il a toujours un intérêt de 500 000 $ dans l’entreprise de prêts à taux d’intérêt élevés (voir le dernier texte du dossier).

Les documents judiciaires démontrent aussi que Stéphane Le Bouyonnec est rapidement retourné travailler chez Finabanx après avoir quitté la politique, en tant qu’executive chairman. Juste avant de se joindre à la fonction publique en décembre 2020, il tentait d’apaiser une grave crise de gouvernance au sein de Finabanx, provoquée notamment par un paiement douteux de 750 000 $ aux deux cofondateurs de l’entreprise, Yannick Garand et Esther Ross.

Cet argent aurait servi au remboursement d’une dette du couple auprès du crime organisé. C’est du moins ce qu’a compris le chef de la direction financière de Finabanx à l’époque, Frédérique Peter Boucher, à la suite d’une conversation avec Yannick Garand.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Frédérique Peter Boucher, ex-chef de la direction financière de Finabanx, poursuit la cofondatrice Esther Ross.

« Il a dit les “Irish”, puis les “Italiens”, quelque chose comme ça, des gens qui sont – pour utiliser ses termes – des tannants », expliquait-il en interrogatoire hors cour, sous serment, dans le cadre d’un conflit entre les actionnaires de Finabanx. À l’origine, le prêt embarrassant aurait notamment servi à « démarrer » l’entreprise, selon Frédérique Peter Boucher.

« Ça fait partie des grandes interrogations autour de ce dossier-là, des choses qui, effectivement, on a réalisé, n’étaient pas claires, convient Stéphane Le Bouyonnec, en entrevue avec La Presse. Au niveau de la revue diligente [due diligence], probablement que j’aurais dû aller plus loin. »

« Sans fondement », dit une cofondatrice

Avec son conjoint Yannick Garand, Esther Ross est cofondatrice de Finabanx. Principale actionnaire selon le registre des entreprises, elle assure dans un courriel à La Presse que ces affirmations sont « sans fondement ».

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Yannick Garand, cofondateur de Finabanx et ex-partenaire de Stéphane Le Bouyonnec

Selon la femme d’affaires, les 750 000 $ devaient notamment servir à « rembourser des cartes de crédit » et des emprunts aux parents du couple.

Cette reprise de fonds devait compenser pour le manque à gagner de nos salaires des années précédentes.

Esther Ross, cofondatrice de Finabanx, dans un courriel à La Presse

La Presse a tenté sans succès d’obtenir directement la version des faits de Yannick Garand.

Dans les comptes de l’entreprise, la transaction, réalisée en 2019, a pris la forme d’un rachat des actions privilégiées des fondateurs, selon des documents de l’entreprise déposés en preuve.

À l’insu des autres investisseurs

Le transfert de fonds s’est fait dans le dos des actionnaires minoritaires de Finabanx issus de Québec inc. que Stéphane Le Bouyonnec avait attirés dans l’entreprise. L’ex-PDG de SNC-Lavalin Jacques Lamarre, l’ex-gestionnaire de fonds Jean-Luc Landry, l’ancien patron de Mines Virginia André Gaumond et Érik Péladeau, frère du PDG de Québecor Pierre Karl Péladeau, ont tous investi dans Finabanx avec lui. En principe, il devait protéger leurs intérêts, en tant que « président du conseil ».

Mais ils ont appris l’existence de la transaction seulement un an plus tard, quand l’information est parvenue aux oreilles du principal financier de l’entreprise à l’époque, le PDG du géant montréalais des paiements électroniques Nuvei Philip Fayer. Avec la firme de gestion de fortune Palomino Capital, il avait accordé à Finabanx une ligne de crédit de 20 millions, selon les documents judiciaires. À condition que l’entreprise ne fasse aucune sortie de fonds non autorisée.

En novembre 2020, Philip Fayer fait comprendre à M. Le Bouyonnec que Palomino Capital et lui exigeraient le remboursement des millions prêtés. Le retrait du financement provoque une véritable crise au sein de Finabanx, qui doit trouver un nouveau bailleur de fonds.

Contacté par l’entremise de son relationniste, Philip Fayer s’est refusé à tout commentaire.

Stéphane Le Bouyonnec assure qu’il s’est « toujours objecté » au paiement de 750 000 $ à Garand et Ross. « Je n’ai jamais été d’accord avec ça en 100 ans », dit-il en entrevue. Encore aujourd’hui, il dit ignorer si l’argent est bel et bien allé à des proches du milieu interlope.

Contacté par messagerie texte, Frédérique Peter Boucher a refusé de discuter avec La Presse de ses déclarations sous serment. « Je ne sais même pas si c’est vrai et j’ai jamais voulu le savoir ou être mêlé à ça, dit le comptable. Ce sont seulement les dires de Garand. »

En tant que chef de la direction financière, il était en principe le gardien de la trésorerie de l’entreprise.

En savoir plus
  • 1500 $
    Prêt maximal qu’accorde Finabanx, par l’entremise de son site iCash, à de petits emprunteurs hors Québec
    source : iCash, le site de Finabanx