Bruno Turcotte, qui a tué sa femme quasi paralysée en cessant d’en prendre soin durant la pandémie, purgera une peine de 18 mois dans la communauté. Une peine bien loin des 10 ans de prison réclamés par la Couronne.

L’homme de Terrebonne jouait le rôle de proche aidant de sa femme Johanne Bilodeau depuis neuf ans. À la suite d’un AVC subi en 2010, elle ne pouvait plus se nourrir, s’hydrater, se laver ou se déplacer seule.

« M. Turcotte s’occupe adéquatement de son épouse. La situation change abruptement après le mois de mars 2020 », a souligné le juge Daniel W. Payette, mercredi, au palais de justice de Laval.

Le moment où M. Turcotte, 61 ans, commence à négliger les soins à sa femme coïncide avec l’urgence pandémique. À un moment, les plaies de lit de la victime se détériorent. « [M. Turcotte] se laisse déborder au-delà du raisonnable et ne cherche pas l’aide professionnelle avant la dernière extrémité, sans se soucier convenablement du véritable bien-être de Mme Bilodeau », note le juge.

Johanne Bilodeau, 58 ans, est finalement morte à l’hôpital d’un choc septique en raison d’une infection grave, le 24 septembre 2020. C’est un jury qui a déclaré M. Turcotte coupable d’homicide involontaire en octobre dernier, au terme de neuf jours de délibérations.

L’avocat de M. Turcotte, MMarc Labelle, réclamait une peine de 18 mois avec sursis. « C’était un élément important, pendant neuf ans, il donnait des soins convenables et adéquats. C’est sûr qu’on ne peut pas ignorer ça au moment d’imposer la peine », a dit l’avocat à sa sortie de la salle de cour.

Le juge dit que ce crime s’approche beaucoup plus de la négligence que du quasi-meurtre. Donc, la négligence, on punit ça moins sévèrement.

MMarc Labelle, avocat de Bruno Turcotte

Le juge Daniel W. Payette a d’ailleurs sévèrement critiqué la Couronne, qui demandait 10 ans d’emprisonnement. Cette proposition avait de quoi surprendre et l’utilisation du terme « quasi-meurtre » par la poursuite était inappropriée dans le contexte, a-t-il dit. « La recommandation s’avère sans commune mesure avec la preuve présentée », a déclaré le juge.

La procureure de la Couronne, Karine Dalphond, n’a pas fait de commentaires à sa sortie de la salle de cour.

Les familles s’invectivent

Dans les minutes qui ont suivi le prononcé de la peine, le climat est devenu extrêmement tendu dans les couloirs du palais de justice. La famille de Bruno Turcotte et celle de Johanne Bilodeau se sont invectivées et se sont accusées de tous les maux. Un constable a d’ailleurs dû calmer certains membres des familles.

« C’est un coup de poing sur la gueule, carré. C’est ça, la justice, aujourd’hui ? », a dit à chaud Diane Bilodeau, sœur de la victime.

En colère, le fils de Johanne Bilodeau a quant à lui dû prendre de grandes respirations avant de s’exprimer. « Cette peine, je ne la trouve pas juste pour quelqu’un qui a ôté la vie à une autre [personne]. C’est dégueulasse. Ce n’est vraiment pas correct et j’espère que le karma va lui frapper dans [la] face », a dit Carl Bureau, qui espérait que Bruno Turcotte se retrouve derrière les barreaux pour au moins deux ans.

C’est inhumain, ce qu’il a fait vivre à ma mère, une bonne personne de même.

Carl Bureau, fils de Johanne Bilodeau

Raymonde Turcotte, sœur de l’accusé, a quant à elle trouvé la peine « juste ». « Je suis très contente. J’ai été présente tout le long de la maladie de Johanne. J’allais souvent chez elle. Avant qu’elle ne tombe malade, on était comme ça toutes les deux », a dit la femme en croisant son index et son majeur. « Quand elle est tombée malade, je m’en suis occupée du mieux que j’ai pu », a-t-elle ajouté, précisant qu’elle avait vu la victime deux jours avant sa mort et qu’elle ne s’est pas rendu compte qu’elle manquait de soins.

Une fois la poussière retombée, la fille de Bruno Turcotte s’est aussi dite soulagée. « Moi-même, j’ai été surprise du verdict. Je ne vous cacherai pas que je suis très contente étant donné les circonstances. Ça a été deux années très pénibles », a dit Daisy Morrissette-Turcotte, au téléphone.

« Je pensais qu’il allait être détenu un peu de temps. Mais c’est sûr qu’on est très contents. Mes enfants avaient dit ‟bye” à leur grand-père ce matin. C’est depuis 2021 qu’il est avec nous, qu’il aide aux devoirs, qu’il fait des repas », a-t-elle ajouté.

Pour les 18 prochains mois, Bruno Turcotte devra demeurer au domicile de sa fille, 24 heures sur 24. Cette peine sera suivie d’une probation d’un an. L’homme devra aussi se rapporter à un agent de surveillance et faire 240 heures de travaux communautaires.

Le juge a tenu compte du fait que Bruno Turcotte avait d’abord été accusé de meurtre prémédité, en avril 2021, et qu’il avait été détenu pendant 90 jours. Il a aussi porté un bracelet électronique pendant 14 mois.

Avec Louis-Samuel Perron, La Presse