Daniel Langlois et sa conjointe, Dominique Marchand, auraient été assassinés par un tueur à gages à la suite d’un conflit avec les propriétaires d’un domaine voisin, selon la théorie de la police de la Dominique.

Le fondateur de Softimage et Mme Marchand, sa conjointe de longue date, ont été retrouvés morts dans les restes calcinés de leur automobile en bordure d’une route de cette petite île des Caraïbes, le vendredi 1er décembre. Leurs corps n’ont pas pu être identifiés immédiatement, mais samedi, les familles ont été avisées de leur mort violente.

Trois personnes ont été arrêtées dès samedi par la police locale relativement à ce qui est officiellement un double homicide. L’enquêteur au dossier, George Theophile, a confirmé à La Presse que l’une d’elles est Jonathan Lehrer, un homme d’affaires américain de 57 ans, qui possédait le domaine voisin de celui de Daniel Langlois.

Selon une source bien au fait du dossier, qui a reçu des informations transmises par la police, la conjointe de Jonathan Lehrer et un individu décrit comme un tueur à gages ont aussi été arrêtés.

MM. Lehrer et Langlois avaient un conflit depuis plusieurs années au sujet de l’usage d’une route donnant accès au domaine hôtelier de Daniel Langlois, mais traversant la propriété de M. Lehrer.

Selon l’hypothèse de la police à ce stade-ci de l’enquête, le couple Langlois-Marchand aurait été arrêté sur une route de l’île par une embuscade du tueur. Les deux auraient été tués par balle sur-le-champ. Leur voiture aurait ensuite été poussée en bas du chemin et incendiée. L’assassin aurait été lui-même brûlé accidentellement à ce moment et arrêté peu de temps après.

Un conflit de longue date

La construction de l’hôtel de Daniel Langlois, le Coulibri Ridge Resort, avait causé des frictions avec Jonathan Lehrer.

PHOTO TIRÉE DE TRIPADVISOR

Jonathan Lehrer

Le domaine appartenant à M. Lehrer, appelé Bois Cotlette, comprend une fabrique de chocolat et un développement immobilier. Un article de 2020 du quotidien britannique Daily Express expliquait que Jonathan Lehrer avait découvert l’endroit en 2011 et décidé de l’acquérir pour se consacrer à l’agriculture après plusieurs années dans le monde des affaires. Dans des documents commerciaux datant de cette époque consultés par La Presse, M. Lehrer disait disposer d’économies importantes grâce à son travail dans le domaine de la finance en ligne, plus précisément les opérations à terme (futures trading).

M. Lehrer s’est plaint pendant des années que la route publique qui mène à la propriété de M. Langlois passe à travers son domaine. Sur le site de tourisme Tripadvisor, plusieurs voyageurs racontaient avoir été chassés avec rudesse lorsqu’ils s’étaient retrouvés sur ses terres. M. Lehrer leur répondait personnellement sur la plateforme en pestant contre les nombreux intrus qui, disait-il, envahissaient sa propriété sans payer pour des visites guidées.

« C’est une bonne chose que vous soyez partie lorsque vous nous avez vu approcher, car vous auriez eu beaucoup plus à raconter dans votre critique », écrivait-il à une femme qui se plaignait sur Tripadvisor de la façon dont elle avait été apostrophée lorsqu’elle s’était aventurée sur le terrain.

« Venir à Bois Cotlette pour une “promenade” dans le but de profiter de nos visites guidées n’est pas différent que de manger dans un restaurant et ensuite choisir de ne pas payer la nourriture », expliquait-il à un autre usager du site qui disait s’être aventuré par erreur sur ses terres.

Jusqu’en Cour suprême

En 2018, le média local Dominica News Online avait couvert une manifestation de résidants du coin, dont plusieurs employés de Daniel Langlois, qui se plaignaient de ne pas pouvoir utiliser la route reliant Soufrière et Bois Cotlette, parce que Jonathan Lehrer l’avait bloquée avec des billots de bois enflammés.

Cette année-là, à la suite de démarches judiciaires de Daniel Langlois, la Cour suprême des Caraïbes orientales avait ordonné à deux reprises à Jonathan Lehrer de cesser d’obstruer la voie publique menant à l’hôtel de M. Langlois.

Il semblerait qu’au cours des quatre ou cinq dernières années, les défendeurs [Jonathan Lehrer et son entreprise] ont interféré avec l’usage libre et sans obstruction d’une voie publique.

La Cour suprême des Caraïbes orientales, dans sa décision

Le magistrat constatait que les actions de M. Lehrer avaient culminé en octobre 2018 lorsqu’il avait installé des rochers sur la route, en plus d’y creuser une tranchée, d’y planter des poteaux de métal et d’y installer de la machinerie.

Le juge avait reconnu que Jonathan Lehrer s’inquiétait de la circulation trop dense qui endommageait certains édifices historiques sur sa propriété. Mais il lui avait ordonné de cesser son manège et l’avait incité à tenir des rencontres de médiation avec Daniel Langlois pour trouver un modus vivendi.

Le domaine colonial de Jonathan Lehrer est une entreprise importante en Dominique, une ancienne colonie française, puis anglaise, avant de devenir une république. L’endroit est accrédité par le gouvernement dans le cadre du programme d’achat de la citoyenneté par l’investissement : tout individu qui y investit 200 000 $ à travers M. Lehrer pour le développement immobilier, quelle que soit sa nationalité, peut obtenir un passeport et la citoyenneté dominiquaise, sans avoir à résider sur place.

La marchandisation de la citoyenneté est une source de revenus très importante pour l’État de la Dominique, qui compte 72 000 citoyens. Des milliers de personnes en ont fait l’acquisition depuis les années 1990, selon les chiffres officiels.

La Presse a tenté de joindre Jonathan Lehrer par courriel et sur son cellulaire à plusieurs reprises depuis samedi, sans obtenir de réponse.