Une femme qui venait d’être agressée sexuellement a été refusée par l’Hôpital général de Montréal puisqu’elle parlait… français. Une situation « inacceptable », s’insurge le cabinet du ministre de la Langue française. L’Office québécois de la langue française (OQLF) va faire enquête.

Ce qu’il faut savoir

  • Après avoir été agressée sexuellement en juillet 2020, une femme accompagnée de policiers du SPVM est refusée par l’Hôpital général de Montréal, car elle parle français.
  • Le procès de Martin Jolicœur se déroule en septembre 2022 au palais de justice de Montréal. Il est reconnu coupable d’agression sexuelle. Il sera condamné à 18 mois d’emprisonnement.
  • Le cabinet du ministre de la Langue française annonce que l’OQLF fera enquête sur la disponibilité des services en français à cet hôpital.

« Cette situation est inacceptable. Les faits rapportés par le juge sont extrêmement troublants. Nous sommes de tout cœur avec la victime. Tous les hôpitaux au Québec doivent offrir des services en français. L’OQLF va faire enquête sur la disponibilité des services en français à cet hôpital », a indiqué à La Presse le cabinet du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge.

L’Hôpital général de Montréal assure pour sa part ne « jamais » refuser de patient. Une enquête est en cours pour faire la lumière sur cette affaire, nous a-t-on indiqué par courriel.

« Les faits rapportés font état d’un évènement inacceptable et incompatible avec les responsabilités, les valeurs et la mission du CUSM. […] Nous sommes fiers d’offrir, dans tous nos établissements, des soins et des services en français et en anglais selon la préférence du patient », a commenté la Dre Lucie Opatrny, présidente-directrice générale du CUSM.

Cette troublante affaire a été révélée vendredi au palais de justice de Montréal lors de la sentence de Martin Jolicœur, un résidant de Lachine condamné à 18 mois de prison pour avoir agressé sexuellement son amie un soir de juillet 2020. L’homme de 45 ans espérait s’en tirer avec de la prison à la maison.

Dans sa décision, le juge Alexandre Dalmau aborde brièvement l’épisode linguistique en expliquant qu’un établissement a refusé de faire un examen de la victime « puisque sa langue maternelle est le français ». Il ne nomme pas l’hôpital.

La Presse a été en mesure d’écouter les témoignages au procès, qui s’est déroulé en septembre 2022. « [Au] premier hôpital, on m’a dit qu’on ne pouvait pas me donner le service dans ma langue maternelle », a témoigné la victime. Un récit confirmé par le policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui l’a prise en charge cette nuit-là.

On se dirige vers le Montreal General [l’Hôpital général de Montréal]. Malheureusement, puisque Madame parle en français, Montreal General décide de nous refuser et décide de nous rediriger vers le CHUM où, par la suite, on nous mentionne qu’ils n’ont pas de trousse et nous dirige vers [l’hôpital] Notre-Dame.

L’agent Marc-André Lacroix

L’Hôpital général de Montréal (HGM) est un établissement de santé anglophone affilié au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Situé à l’ouest du centre-ville de Montréal, il est le centre désigné pour traiter les victimes d’agressions sexuelles anglophones (en partenariat avec un groupe de médecine de famille).

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

L’Hôpital général de Montréal est un établissement de santé anglophone affilié au Centre universitaire de santé McGill.

« [La nuit], il est de notre devoir d’informer les victimes francophones que Notre-Dame est l’hôpital désigné. Cependant, sous aucun prétexte, nous ne refusons de traiter une personne qui préfère demeurer à l’Hôpital général de Montréal, peu importe la langue », assure une porte-parole du CUSM.

Le CHUM a expliqué à La Presse que l’hôpital Notre-Dame était le « centre désigné » pour traiter de tels cas depuis le regroupement du CHUM, l’autre étant l’Hôpital général de Montréal.

« Lorsqu’une personne se présente à l’urgence avec une suspicion de trauma sexuel, elle est réorientée vers un centre désigné qui possède l’expertise en la matière ainsi que les trousses médicolégales », a commenté par courriel Andrée-Anne Toussaint, porte-parole du CHUM.

« Quand la tentation est trop forte »

Dans cette affaire, Martin Jolicœur a abusé de la confiance de son amie pour l’agresser sexuellement. Ce soir-là, la femme avait clairement avisé l’homme qu’elle ne souhaitait pas de relation sexuelle. À la blague, l’accusé lui avait répliqué qu’il serait « difficile de ne pas succomber à la tentation », mais avait finalement accepté cette condition.

PHOTO TIRÉE DU FACEBOOK DE MARTIN JOLICŒUR

Martin Jolicœur en 2018

Après avoir fréquenté un bar, Martin Jolicœur et la victime retournent dans un appartement de l’ouest de Montréal. En état d’ébriété, la femme dit à Martin Jolicœur être fatiguée et vouloir dormir. Elle s’endort sur un côté du lit et fait dos à l’accusé.

À son réveil, la femme sent que Martin Jolicœur est en train de la pénétrer. « Elle n’aime pas cela », résume le jugement. Après que l’agresseur s’est retiré, la victime lui lance : « Je t’ai dit que je ne voulais pas. »

« Tu sais quand la tentation est trop forte. Je suis désolé », réplique Martin Jolicœur.

La femme se sent « trahie et sale ». « Elle a la nausée. Elle a peur », indique la décision. La femme appelle le 911, une fois dehors. Des patrouilleurs viennent la chercher vers 5 h et la transportent dans trois hôpitaux.

Selon le juge Dalmau, la prison avec sursis (à domicile) n’est pas appropriée, notamment en raison des nombreuses condamnations pour non-respect des ordonnances de la cour de l’accusé. Ce dernier a aussi des antécédents en matière de violence conjugale.

Le magistrat retient plusieurs circonstances aggravantes, dont l’état de vulnérabilité de la victime et l’abus de confiance. « Le délinquant et la victime sont des amis. Cette dernière établit clairement ses limites avant la rencontre. […] Le délinquant transgresse les limites de la victime alors qu’elle est vulnérable », affirme le juge.

La procureure de la Couronne MGeneviève Rondeau-Marchand réclamait deux ans d’emprisonnement. MAllan Guttman a défendu l’accusé.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse