Une juge a condamné la DPJ à verser 25 000 $ en guise de réparation à une jeune femme dont elle avait violé les droits fondamentaux, une apparente première judiciaire que les services sociaux contestent vivement.

Selon son avocate, la jeune Inuite a été « oubliée » sans suivi pendant 10 ans dans une famille d’accueil non accréditée, où régnaient la violence et l’abus d’alcool. Elle y aurait vécu toute sa petite enfance, sans suivi social.

La décision de la juge Peggy Warolin forçant à l’indemniser remonte à la fin de 2022. Elle n’a toujours pas été rendue publique, ce qui empêche La Presse d’avoir accès au récit des faits effectué par la justice.

« Ils l’ont échappé solide », a pour sa part expliqué MCassandra Neptune, l’avocate de la jeune femme maintenant majeure, en acceptant de lever le voile sur cette situation.

Ma cliente a grandi dans un milieu de violence et de boisson qui, évidemment, a eu un impact sur elle.

MCassandra Neptune, avocate de la jeune femme

La situation s’est déroulée dans le Grand Nord québécois, dans un village de la côte de la baie d’Hudson.

Toujours selon son avocate, l’enfant est réapparue sur l’écran radar de la DPJ quand de graves problèmes de comportement a forcé son placement en centre de réadaptation, dix ans plus tard.

« On va innover »

Scandalisée par ce dossier, MNeptune a décidé d’essayer une approche inhabituelle pour tenter de faire réaliser à la DPJ le poids de ses erreurs : demander une réparation financière directement en chambre de la jeunesse, plutôt que de lancer une longue et coûteuse poursuite en dommages.

« Je m’étais dit : “on va innover, on va arrêter de toujours couvrir un peu la DPJ”. À un moment donné, il faut que ça arrête, a-t-elle dit en entrevue téléphonique. La DPJ s’en tire toujours, soit par des lettres d’excuses ou [en offrant] un suivi psychosocial. […] Là, j’ai demandé une compensation de 25 000 $ pour qu’elle arrête de s’en tirer aussi facilement. Je sais que c’est une première. »

MNeptune était particulièrement choquée parce que le cas d’un autre enfant, oublié lui pendant six ans dans des circonstances semblables, venait d’arriver sur son bureau.

On joue quand même avec la vie d’un enfant !

MCassandra Neptune, avocate de la jeune femme

Les juges québécois déclarent fréquemment dans leurs jugements en protection de la jeunesse que les droits des enfants qu’ils ont devant eux ont été « lésés » par les services sociaux – il s’agit d’un outil spécifiquement prévu dans la loi. Beaucoup de ces cas sont relatifs aux délais dans la prise en charge des dossiers.

Une fois cette déclaration de « lésion de droits » effectuée, le juge peut imposer des mesures réparatrices : consultation rapide avec un psychologue, davantage d’appui pour la famille, changement de famille d’accueil, etc. Il s’agit souvent de la seule réparation qu’obtiennent les enfants : les services sociaux jouissent d’une très forte protection contre les poursuites en dommages-intérêts.

« Pas de preuve de mauvaise foi »

L’existence de la décision de la juge Warolin a été révélée par le processus d’appel entamé par les avocats qui représentent les services sociaux de la baie d’Hudson.

L’une d’elles, Me Émilie Perron, a confirmé à La Presse qu’un pareil jugement en indemnisation serait une première dans les annales judiciaires québécoises.

« Dans ce cas-ci, il n’y avait pas de possibilité de mesure correctrice en tant que telle », a indiqué MPerron.

L’avocate n’a pas voulu s’exprimer sur le fond du dossier, préférant laisser à MNeptune le soin d’en résumer le contenu. « Il n’y avait pas de preuve de mauvaise foi », a-t-elle toutefois précisé. Elle n’a pas voulu commenter davantage.

« Nous ne pouvons commenter considérant que le processus d’appel suit son cours », a indiqué la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, dans un long courriel non signé.

L’organisation montre du doigt des problèmes sociaux de longue date dans cette région du Québec, notamment liés à une pénurie criante et durable de logements.

« La Directrice de la protection de la jeunesse est personnellement très sensible à ce genre de situation et travaille de concert avec ses équipes et les différents partenaires à améliorer les services offerts aux enfants et à leur famille, continue la missive. Le filet de sécurité en protection de la jeunesse s’est développé au fil des ans, il est davantage organisé. Cependant, la pression de services ne cesse de s’accroître. En effet, il est important de reconnaître la complexité des problèmes sociaux du Nunavik qui perdurent et qui découlent de nombreux traumatismes collectifs, familiaux et individuels. »