Devant la multiplication des incidents, Québec compte revoir la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, adoptée il y a plus de 25 ans. Le gouvernement mandate l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice de lui présenter une nouvelle mouture.

« Si on veut bien comprendre l’application sur le terrain, on doit aller voir ceux qui le vivent sur le terrain. Nous pensons qu’une réflexion s’impose sur nos outils destinés à mieux protéger les gens souffrant de problèmes de santé mentale et la population », a expliqué mercredi le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant.

Depuis 1997, la loi P-38 permet aux médecins de demander à un juge d’obliger l’hospitalisation d’un patient qui ne veut pas se faire soigner s’il présente un danger imminent pour lui-même ou pour d’autres personnes.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Lionel Carmant

La démarche de refonte ne touchera pas toutefois à la Commission d’examen des troubles mentaux du Québec (CETM). C’est cet organisme qui avait traité le cas de l’homme soupçonné d’avoir tué la policière Maureen Breau lors d’une banale opération, à Louiseville. Il possédait des antécédents criminels et de santé mentale, et représentait « un risque important » pour la sécurité du public, ce qui ne l’empêchait pas d’être en liberté sous de sévères conditions.

Selon M. Carmant, ces évènements n’ont pas été « déclencheurs » dans la décision du gouvernement d’entamer une refonte de la loi P-38. « Déjà, à la sortie du Forum en santé mentale qu’on avait fait en 2019, on voulait travailler sur l’application de la P-38. Depuis toujours, on entend les mêmes plaintes », s’est-il justifié, en affirmant que « la société québécoise est aujourd’hui prête » pour du changement.

Au moins 18 mois

Le président de l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice et professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Pierre Noreau, pilotera les travaux de consultation. « On ne tient pas pour acquis que la P-38 est nécessairement mauvaise, la question c’est sa mise en œuvre », a-t-il assuré.

Il refuse toutefois de donner un délai clair pour arriver avec des conclusions, disant d’abord vouloir « faire le tour » de la situation auprès de toutes les parties prenantes. Au minimum, évoque M. Noreau, il faudra envisager un délai de 18 mois. « On ne peut pas improviser des amendements de loi sur le coin d’une table. Il n’y a rien de pire que ça », insiste-t-il.

Dès 2012, le Protecteur du citoyen avait noté « d’importantes disparités dans l’application » de la loi P-38 « selon les établissements, les régions et les intervenants de différents milieux ». Il avait alors recommandé une « révision périodique » de la loi au gouvernement.

Aussi sur place mercredi, le DPierre Bleau, directeur national des services en santé mentale et en psychiatrique légale au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), a appelé la population à « être prudente avant de faire amalgames ». « Les troubles de santé mentale ne mènent pas forcément à de tels drames. Dans la plupart du temps, les gens sont dangers pour eux-mêmes plus que pour autrui, ce qui représente un défi pour les familles, surtout », a-t-il fait valoir.

Le directeur du Réseau Avant de Craquer, René Cloutier, s’est dit mercredi « encouragé » par le fait que l’approche soit « globale ». « Il faut voir comment on peut regarder tout ce qui tourne autour de la loi pour que ça soit plus satisfaisant pour tout le monde, parce qu’actuellement, tous les acteurs sont insatisfaits, que ce soit les avocats, les juges, les familles, les psychiatres qui doivent faire des démarches », a-t-il précisé.

La Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, a quant à elle soutenu que « la mise à jour de la loi P-38 doit s’appuyer tant sur de solides fondations juridiques que sur les connaissances médicales les plus récentes ». « Nous espérons que ces travaux serviront aussi à lutter contre les amalgames entre violence et santé mentale », a-t-elle noté à son tour.

Des mesures en vue

Samedi, dans la foulée d’un dossier de La Presse portant sur « la gradation des sanctions » poussant des délinquants directement vers l’emprisonnement, le ministre Carmant avait cité trois mesures pour améliorer l’accès aux soins en santé mentale : l’hospitalisation à la maison pour les personnes atteintes de troubles psychotiques et de troubles de l’humeur, des équipes spécialisées d’intervention rapide et de relais en communauté, et des unités d’intervention brève en psychiatrie.

En entrevue, M. Carmant avait expliqué que l’objectif de ces mesures, qui visent « toutes les clientèles en santé mentale », est entre autres de diminuer le fameux phénomène des « portes tournantes » en psychiatrie, qui amène certains patients à fréquenter à répétition les hôpitaux.

Les différents programmes de santé mentale dans le réseau de la santé ont suivi cette année 250 000 patients. Aux urgences, on a toutefois recensé plus de 3 millions de consultations en santé mentale. Pour M. Carmant, ces données montrent que les patients « ont besoin de suivi après leur visite » aux urgences.

Avec Tristan Péloquin et Ariane Lacoursière