(Ottawa) Un prévenu accusé à nouveau d’un crime violent armé devra démontrer à la cour qu’il ne pose pas de risque pour la société afin d’être libéré en attente de son procès. Le ministre de la Justice, David Lametti, a déposé le projet de loi C-48 mardi en réponse aux pressions des provinces et des territoires. Mais ces changements risquent d’avoir peu d’impact, selon une association d’avocats de la défense.

Ce qu’il faut savoir

  • L’agent Grzegorz Pierzchala, de la Police provinciale de l’Ontario, a été tué le 27 décembre 2022.
  • Deux personnes sont accusées de meurtre prémédité, dont Randall McKenzie, un jeune homme qui était en liberté sous caution au moment des faits.
  • Dans la foulée de cette affaire, les premiers ministres des provinces et des territoires font pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il réforme le système de mise en liberté sous caution et cible les récidivistes violents.

« Il s’agit d’une avancée importante pour la sécurité des Québécois », a réagi le ministre de la Sécurité publique du Québec, François Bonnardel.

Le projet de loi C-48 « répond directement aux préoccupations des provinces », a souligné le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, en conférence de presse. Les libéraux avaient dépêché quatre ministres et deux députés pour procéder à cette annonce.

Les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux avaient réclamé une réforme du système de mise en liberté sous caution quelques semaines après le meurtre en décembre de Grzegorz Pierzchala, agent de la Police provinciale de l’Ontario. L’un des accusés dans cette affaire, Randall McKenzie, avait été libéré dans l’attente de son procès et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour non-respect de conditions. L’Association des directeurs de police du Québec avait formulé une demande similaire la semaine dernière.

Nous espérons que nous avons trouvé un équilibre pour ne pas encombrer le système de libération sous caution ou avoir un impact disproportionné sur des groupes déjà surreprésentés dans le système de justice pénale en général.

David Lametti, ministre de la Justice du Canada

Ses collègues Marco Mendicino à la Sécurité publique et Carolyn Bennett à la Santé mentale et aux Dépendances ont insisté sur les mesures de prévention, rappelant les 390 millions annoncés la semaine dernière pour lutter contre la violence armée ou les efforts déployés pour les soins en santé mentale.

Le gouvernement propose dans C-48 de modifier le Code criminel afin de renverser le fardeau de la preuve pour les récidivistes inculpés d’un crime violent et armé, à condition qu’ils aient été déclarés coupables d’une infraction similaire au cours des cinq dernières années. L’infraction actuelle et l’infraction passée doivent toutes les deux être passibles d’une peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans.

Le ministère de la Justice n’était pas en mesure de dire combien de récidivistes grossiraient ainsi la population carcérale au pays puisque ces nouvelles dispositions seraient appliquées au cas par cas, à la discrétion des juges.

Or, cette mesure risque d’avoir peu d’impact, puisque les juges tiennent déjà compte de ce type de critères avant d’accorder une mise en liberté sous caution, selon la présidente de l’Association des avocats de la défense Montréal-Laval-Longueuil, Élizabeth Ménard.

« N’importe quel juge va regarder si monsieur a des antécédents judiciaires, si c’est un acte isolé, s’il y a des armes à feu, s’il y a des armes qui ont été utilisées », a-t-elle énuméré.

Les juges doivent également tenir compte des droits constitutionnels d’un accusé puisque la Charte canadienne des droits et libertés garantit à tout inculpé le droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable ».

L’objectif du projet de loi C-48 est d’envoyer « un message clair à la société », s’est défendu M. Lametti. « Il faut aussi penser au signal qu’on est en train d’envoyer aux juges, aux Couronnes, aux avocats partout au Canada et à la société en général qu’on veut que ces questions, que ces analyses soient abordées chaque fois qu’un juge prend une décision sur une libération sous caution. »

« Aussitôt arrêté, aussitôt relâché »

Cette nouvelle approche des libéraux ne réglera pas le problème, soutient le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, qui leur attribue « une vague de criminalité sans précédent au pays » à cause d’un autre texte législatif – C-75, sur les mises en liberté provisoires – jugé trop permissif.

« J’ai un plan de gros bon sens, a-t-il affirmé. C’est de mettre en place une garantie qu’un criminel violent et récidiviste qui est accusé de nouveau de violence reste en prison jusqu’à ce que le procès soit complet et s’il est trouvé coupable, jusqu’à ce qu’il ait fait toute sa peine de prison. »

La réforme du système de mise en liberté sous caution est toutefois accueillie favorablement à la fois par le Bloc québécois et par le Nouveau Parti démocratique.

Le transfert du fardeau de la preuve est « un pas dans la bonne direction », selon le chef bloquiste, Yves-François Blanchet.

« Ce sont des mesures qui vont fonctionner, à mon avis, a réagi le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, en ajoutant que « ce n’est pas le seul outil ». Le gouvernement devrait s’attaquer aux problèmes de santé mentale et de dépendance qui peuvent alimenter la violence. »

Le projet de loi C-48 prévoit également l’ajout d’infractions liées aux armes à feu pour le renversement du fardeau de la preuve et l’élargit également en cas de violence conjugale.

Lisez « Les gouvernements doivent agir, pressent les directeurs de police »