(Ottawa) Des spécialistes préviennent que la réforme des libérations sous caution introduite cette semaine par le gouvernement de Justin Trudeau pourrait être sujette à des contestations judiciaires et avoir un impact limité.

Le projet de loi cherche à rendre l’obtention d’une libération sous caution plus difficile pour les personnes accusées de crimes armés violents qui ont déjà été condamnés pour des raisons semblables dans les cinq dernières années.

S’il est adopté, ce seront ces accusés qui devront prouver qu’on peut les libérer sans danger en attendant leur procès, et non les procureurs qui devront prouver le danger qu’ils posent.

Le projet de loi ajoute aussi dans cette catégorie certaines infractions armées et certains cas où les crimes allégués sont liés à de la violence conjugale.

Danardo Jones, professeur adjoint en loi à l’Université de Windsor, rappelle que la Cour suprême a déjà mis en garde des gouvernements contre une inversion du fardeau de la preuve. « Ça crée de nombreux changements et je ne suis pas certain que cela souscrira aux critères constitutionnels », a-t-il expliqué.

Le ministre de la Justice, David Lametti a promis que toute nouvelle loi respecterait la Charte des droits et libertés du Canada, qui garantit que quiconque est accusé d’un crime ne peut pas se faire refuser la libération sous caution sans bonne raison.

Une décision de 1992 de la Cour suprême statue que la libération sous caution « n’est refusée que s’il y a une “probabilité marquée” que le prévenu commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice et seulement si cette “probabilité marquée” compromet “la protection ou la sécurité du public”.

Le professeur adjoint Jones dit craindre qu’avec ce projet de loi, « nous voyions peut-être la sécurité publique peser plus lourd que les libertés civiques ».

« Nous devons atteindre un équilibre », a dit mardi le ministre Lametti lors d’une conférence de presse. « Nous pensons avoir réussi cela, trouvé un équilibre entre la Charte des droits et la sécurité publique. »

La professeure agrégée de sociologie à l’Université Queen’s Nicole Myers dit de son côté que la nouvelle loi pourrait avoir des effets « limités », comme elle ne s’attaque pas aux causes de la criminalité.

Elle soutient qu’il faut « faire la chose difficile » et investir dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la santé mentale, de la dépendance, de la pauvreté et de l’itinérance.

« C’est à l’État de porter le fardeau de la preuve et de démontrer pourquoi quelqu’un devrait être gardé en détention, plutôt qu’à l’accusé de démontrer pourquoi il devrait être libéré », a-t-elle ajouté.

M. Jones et Mme Myers craignent tous les deux que la nouvelle loi affecte disproportionnellement des groupes déjà surreprésentés dans les pénitenciers canadiens, notamment les Noirs et les Autochtones.