Des soldats qui déshabillent une femme et qui la font parader, entièrement nue, avant de la violer. Des soldats qui forcent un homme à violer sa propre femme, sous les yeux de leurs enfants.

Kateryna Shunevych ne pensait pas entendre ces récits, terribles de cruauté. Des récits qu’on avait déjà malheureusement entendus dans des pays déchirés par la guerre – en Bosnie, par exemple, ou en République démocratique du Congo. Mais pas chez elle. Pas en Ukraine.

Depuis l’invasion russe, c’est pourtant le genre de témoignages bouleversants auxquels l’avocate ukrainienne est désormais très souvent confrontée.

Sa vie, comme celle de tous ses compatriotes, a été chamboulée par la guerre. Et JurFem, sa petite association d’avocates ukrainiennes, a dû changer de vocation : désormais, ces femmes juristes luttent contre les violences sexuelles perpétrées par les envahisseurs.

Elles luttent contre l’impunité. Et ne manquent malheureusement pas de boulot.

À l’invitation d’Avocats sans frontières Canada, MShunevych et sa collègue, Marta Pavlyshyn, amorcent aujourd’hui une série de rencontres, à Ottawa et à Québec.

Elles rencontreront des politiciens, dont le ministre fédéral de la Justice, David Lametti.

Elles leur raconteront qu’en Ukraine, des soldats russes séquestrent des femmes et des filles pour les violer à répétition. Que certains sont munis de Viagra. Et que leurs actes sont planifiés. Clairement délibérés.

« C’est un crime de guerre », tranche MShunevych. « La même tactique militaire a été utilisée par l’armée russe dans d’autres conflits, en Tchétchénie et en Syrie », ajoute MPavlyshyn.

Partout, depuis toujours, le viol est utilisé comme arme de guerre. Ce crime a été de tous les conflits pour déshumaniser les victimes et soumettre les populations locales. Mais il a rarement été puni.

En Ukraine, ça pourrait changer.

Officiellement, le Bureau du procureur général ukrainien a documenté 175 cas de violences sexuelles perpétrées par des soldats russes. Une goutte d’eau parmi les 71 000 crimes de guerre comptabilisés depuis le début de l’invasion.

« Ce chiffre n’est pas représentatif », estime Marta Pavlyshyn. Beaucoup de victimes hésitent à dénoncer. Elles se disent qu’en pleine guerre, ce n’est pas le moment, elles doivent consacrer leur énergie à survivre aux attaques de missiles et aux pannes d’électricité. D’autres sont sous occupation russe, sans accès à la justice. D’autres encore préfèrent fuir l’Ukraine sans regarder derrière.

Et puis, le viol est largement tabou en Ukraine. Des femmes se murent dans le silence par crainte d’être montrées du doigt. Trop d’agresseurs s’en sortent comme ça.

Malgré toute sa bonne volonté, l’Ukraine peut faire mieux pour soutenir les victimes et les inciter à porter plainte. Les deux avocates comptent s’inspirer des meilleures pratiques au Canada et au Québec pour proposer des réformes dans leur propre pays.

Ça commence par la protection de l’identité de la victime, un concept acquis depuis longtemps dans les palais de justice québécois. En Ukraine, c’est une autre histoire.

« Au début de la guerre, les procureurs publiaient des accusations contre des soldats russes à juger in absentia, et cela comprenait les renseignements personnels des survivantes, raconte Kateryna Shunevych. Ces personnes avaient subi des violences sexuelles et toutes leurs infos étaient disponibles. Nous avons proposé de modifier la loi pour assurer leur confidentialité. »

Les deux avocates espèrent convaincre le Canada d’en faire plus, lui aussi, pour lutter contre l’impunité en renforçant son appui à la société civile ukrainienne.

Cet appui local renforcé cadrerait parfaitement avec la Politique d’aide internationale féministe du Canada, souligne Gonzague Dupas, conseiller juridique pour Avocats sans frontières Canada.

Il faut évidemment soutenir des initiatives de grande envergure, comme celle de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les crimes de guerre perpétrés en Ukraine.

« Mais 99 % des dossiers de crimes sexuels seront jugés par des tribunaux nationaux », souligne M. Dupas. Seuls les officiers supérieurs qui ont donné les ordres seront – peut-être, un jour – traduits en justice à La Haye. Pas les soldats qui ont suivi ces ordres.

D’où l’importance de soutenir, aussi, les petits organismes qui travaillent auprès des victimes, sur le terrain. « La lutte contre l’impunité viendra de l’Ukraine elle-même. »