La Couronne fédérale prendra ce mardi matin des mesures exceptionnelles afin de devancer le procès pour terrorisme d’un résidant de Lévis accusé d’avoir fomenté un coup d’État en Haïti, a pu confirmer La Presse. L’affaire s’enlisait déjà dans les délais judiciaires, au moment même où le Canada est sous pression pour aider à rétablir l’ordre dans la perle des Antilles.

Le dossier de Gérald Nicolas revient devant un juge ce mardi, et selon l’avis d’inscription au rôle de la Cour du Québec, les procureurs de la Couronne vont déposer un « acte d’accusation privilégié ». Cette mesure exceptionnelle leur permet de court-circuiter l’enquête préliminaire qu’avait demandée l’accusé afin de passer directement à un procès devant jury. La procédure, qui a dû être approuvée aux plus hauts échelons du Service des poursuites pénales du Canada, devrait retrancher plusieurs mois au processus judiciaire.

« Ce n’est pas courant, c’est une procédure exceptionnelle », observe MTiago Murias, avocat de l’accusé.

Menace de violence

Gérald Nicolas avait été accusé en novembre dernier d’avoir quitté le Canada pour faciliter une activité terroriste, d’avoir facilité une activité terroriste et d’avoir fourni des biens à des fins terroristes. L’acte d’accusation précise que les faits se sont déroulés à Montréal, à Québec, en Haïti et en République dominicaine.

« L’enquête démontre qu’il s’est rendu en Haïti et dans d’autres pays pour faire du recrutement, du financement et l’acquisition d’armes », avait expliqué le caporal Charles Poirier, porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le but, selon la poursuite, était de renverser le gouvernement du président Jovenel Moïse, qui a été en poste de 2017 jusqu’à son assassinat en 2021 par un groupe armé qui n’a aucun lien avec le plan de M. Nicolas.

Des documents judiciaires dévoilés par La Presse l’an dernier montraient que certains des éléments retenus par la police contre M. Nicolas dénotaient une certaine folie des grandeurs : il aurait rédigé un document demandant l’aide de la Chine pour équiper son commando et, selon une témoin, il aurait affirmé vouloir acheter un char d’assaut à Cuba.

Les enquêteurs ont malgré tout pris la chose très au sérieux et affirment avoir décelé « une menace de violence et/ou une préparation à une confrontation armée ».

Pas de dates de cour disponibles

M. Nicolas avait demandé la tenue d’une enquête préliminaire de quatre jours afin de pouvoir évaluer la preuve et interroger quelques-uns des témoins dans son dossier, notamment les policiers ayant participé à l’enquête. Au terme des quatre jours d’audience, un juge aurait eu à décider si la preuve justifiait qu’il ait un procès pour terrorisme, une infraction grave et rare au Canada.

En raison de l’engorgement des tribunaux, il aurait toutefois été impossible de tenir un tel exercice avant l’automne prochain, au plus tôt. « Il n’y avait pas de dates disponibles cet été, donc ç’a été remis à l’automne », confirme MMurias.

Or, le temps presse. L’arrêt Jordan de la Cour suprême a fixé à 30 mois la durée maximale des procédures lorsqu’un dossier implique une enquête préliminaire, sans quoi le délai pour juger un accusé peut être considéré comme déraisonnable et les procédures peuvent être arrêtées.

L’un des procureurs de la Couronne chargés du dossier, MPhilippe Legault, n’a pas voulu dire si les délais judiciaires avaient justifié le choix de la Couronne de court-circuiter l’enquête préliminaire dans le dossier de M. Nicolas.

« La directrice des poursuites pénales a pris sa décision le 1er mars 2023. La raison qui a motivé cette décision relève du privilège de la Couronne et on ne commente pas les raisons qui la sous-tendent », a-t-il déclaré.

Du côté de la défense, MTiago Murias reconnaît que l’intervention de la Couronne va accélérer les choses, mais il croit que les procureurs fédéraux ont aussi d’autres raisons de vouloir éviter une enquête préliminaire. « Dans le contexte actuel, je crois que moins ce dossier attire l’attention, mieux ils se portent », a-t-il laissé tomber, sans vouloir en dire davantage.

Le Canada pressé d’en faire plus

Le Canada est actuellement sous pression pour apporter sa contribution alors que plusieurs pays cherchent une solution à l’insécurité et l’instabilité politique qui continuent de paralyser Haïti. Des responsables gouvernementaux haïtiens et des représentants des Nations unies ont appelé à la création d’une force internationale de maintien de la paix qui pourrait aider la police locale dans son combat contre les gangs armés qui contrôlent de grandes parties du territoire.

Un conseiller de la Maison-Blanche a déclaré en janvier que le Canada pourrait être intéressé à diriger cette force, mais le gouvernement Trudeau ne s’est jamais avancé à cet égard. Le chef d’état-major de la Défense du Canada, le général Wayne Eyre, a même déclaré la semaine dernière que les Forces armées n’ont pas la capacité de mener une telle mission en Haïti, car elles sont déjà mobilisées pour le soutien de l’Ukraine et de l’OTAN.

Lundi, le quotidien Miami Herald rapportait que de hauts responsables américains misent sur la visite prochaine de Joe Biden à Ottawa pour convaincre le Canada de prendre la direction d’une mission internationale et mettre fin à « des mois de débat » à ce sujet.

Trudeau appelle les États-Unis et l’Europe à sanctionner davantage les élites haïtiennes

Le premier ministre Justin Trudeau affirme que les États-Unis et l’Europe doivent en faire « beaucoup plus » pour sanctionner les élites haïtiennes qui ont un rôle à jouer dans la crise d’insécurité en Haïti. M. Trudeau a rappelé qu’Ottawa a sanctionné 17 personnes, dont plusieurs anciens politiciens, puisque celles-ci sont considérées comme complices des bandes armées qui sèment la terreur en Haïti. En novembre, le Canada a commencé à sanctionner des personnes en vertu de sa Loi sur les mesures économiques spéciales. Cela a eu pour effet de geler les avoirs de ces personnes au Canada, ainsi que de les empêcher de faire tout séjour au pays.

La Presse Canadienne

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  • 4,5 millions
    Nombre de personnes qui n’ont pas assez à manger en Haïti pendant la crise actuelle
    source : Programme alimentaire mondial