C’en est assez des problèmes d’insécurité dans le Village pour Le Passé Composé. Le restaurant déplacera ses opérations à l’extérieur du quartier « par souci de sécurité » pour ses employés et ses clients après nombre d’évènements violents. Sa direction s’en prend au « déni des autorités de la Ville » pour trouver des solutions à la crise.

« Par souci de sécurité pour nos employés et nos clients, à la suite de nombreux évènements – feu, vol, vandalisme, présence de seringues et d’excréments humains sur notre terrasse à chaque nouvelle journée, utilisation de nos installations comme campement de fortune et harcèlement physique d’employés et de clients –, nous devons suspendre nos opérations de façon temporaire et les déplacer dans un autre secteur », s’est désolé l’établissement dans une longue publication Facebook, jeudi.

Depuis plus de sept ans, la direction du restaurant dit avoir accepté de « cohabiter », en se disant consciente « et volontaire à aider dans un quartier où la pauvreté bat son plein ». Or, ajoute-t-elle, « l’absence de ressources et le déni des autorités de la Ville empêchent les commerçants de trouver un équilibre viable ».

En juin, La Presse rapportait que le sentiment d’insécurité s’était aggravé dans le Village, selon de nombreux commerçants. Des tenanciers de bars craignaient même alors de devoir fermer leur terrasse, faute de clients. Montréal avait ensuite assuré dans la foulée faire des « efforts sans précédent » pour diminuer le sentiment d’insécurité. La Ville soutient qu’elle déploie depuis peu « des effectifs policiers accrus » dans le secteur.

« On s’assure aussi de renforcer les outils offerts aux commerçants, à tous les niveaux », avait soutenu à ce moment la responsable de l’inclusion sociale et de l’itinérance au comité exécutif, Josefina Blanco.

Un quartier pris au dépourvu

Plus de six mois plus tard, tout indique donc qu’il reste encore beaucoup à faire. À la Société de développement commercial (SDC) du Village, la directrice générale, Gabrielle Rondy, évoque une « grande tristesse » pour le quartier, mais déplore d’avoir été prise de court, Le Passé Composé n’étant pas membre de son organisme.

« En fait, on ne connaissait pas l’ampleur de ses besoins, ni pour les travaux ni pour la situation sociale. C’est désolant, parce qu’on aurait pu l’accompagner même s’il n’est pas membre, que ce soit pour ses travaux ou pour trouver du financement. Pour les seringues, par exemple, on a des groupes communautaires qui les ramassent, ça se fait d’ajouter ça à leur tournée », indique Mme Rondy en entrevue.

Plus largement, elle avoue toutefois que bon nombre de restaurants membres de la SDC ont la même inquiétude quant à l’état du quartier. « On partage aussi leurs inquiétudes, mais on montre aussi ce qui peut être fait. Il y a possibilité, par exemple, de rencontrer la police deux fois par année ou d’avoir un lien direct avec l’EMMIS [Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale]. Ce n’est pas parfait, on le sait qu’il y a une crise sociale, mais on peut faire entendre leurs voix pour avoir plus de ressources », dit la DG.

À ses yeux, le cœur du problème réside dans le manque de financement du réseau communautaire. « Tout le monde pourrait en faire plus, c’est certain. Il faut amener des ressources dans la rue. Tout ça est en train d’évoluer, mais ça en prendra bien plus encore », note Mme Rondy.

« Ça se dégrade »

Pierrette Savard, une résidante du quartier, se désole de la fermeture du bistro.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pierrette Savard, résidante du quartier

C’est dommage. C’était un endroit agréable pour le quartier, la terrasse était belle. Il y avait plein de monde, tout le temps.

Pierrette Savard, résidante du quartier

Elle souligne que les problèmes s’accentuent dans le quartier. « L’itinérance, ça va. Mais la consommation, les délires, les engueulades, la vente [de drogue]... », énumère Mme Savard.

Le problème est particulièrement présent à la station de métro Beaudry, à proximité du bistro, constate-t-elle. « Dans le métro, ce n’est pas propre, ça pue, c’est plein de détritus partout. » Elle déplore l’audace des vendeurs de drogue opérant devant les usagers des transports en commun. « Les vendeurs me dérangent énormément. Hier, je prenais le métro et ça se faisait devant moi. »

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Campement de sans-abri à l’extérieur du métro Beaudry, jeudi

La situation s’est détériorée au cours des dernières semaines, observe-t-elle. « Pendant l’été et avant qu’il fasse froid, il y avait une présence policière beaucoup plus grande, même dans la station de métro. Maintenant, je trouve que ça se dégrade. »

« C’est difficile dans le quartier », note également Rafaël Veras, qui travaille au pub vietnamien Red Tiger, sur le boulevard De Maisonneuve, depuis deux ans.

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Rafaël Veras, employé du Red Tiger

Des fois, des personnes viennent quêter auprès des clients. Quelqu’un est déjà entré et a échappé sa pipe [à crack]. C’est quand même intense.

Rafaël Avéras, employé au pub Red Tiger

Établis dans le quartier depuis 2006, Ayse et Raymond Calasin, du Nettoyeur Unique Express, se sont adaptés à la population. « C’est rare, mais des fois, il y a des personnes droguées qui entrent ici. Quand ça arrive, on leur dit qu’on va fumer une cigarette, pour les faire sortir avec nous », dit Mme Calasin. Sinon, elle se dit satisfaite de sa relation avec la clientèle.

« Contexte difficile »

Au cabinet de la mairesse Valérie Plante, on se dit conscient que « la crise des vulnérabilités et le contexte économique actuel sont difficiles pour les commerçants ».

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La terrasse du restaurant Le Passé Composé

« Nous travaillons avec la cellule de crise que nous avons mise en place l’an dernier avec le CIUSSS, le SPVM et plusieurs autres intervenants et, déjà, nous remarquons une amélioration du sentiment de sécurité. Nous avons, entre autres, bonifié notre équipe EMMIS et ajouté un duo d’intervenants dédié au secteur du Village. Nous avons augmenté la présence policière et mis en place une brigade de propreté », détaille l’attaché de presse Simon Charron.

Il rappelle qu’une « Stratégie collective du Village » a été lancée l’été dernier et que « de nombreuses actions sont en cours en termes de cohabitation et de développement économique ». Or, « malgré ces résultats positifs, on sait que le contexte économique affecte beaucoup les commerces », dit M. Charron.

« L’arrondissement continue d’offrir un programme de soutien au développement économique et commercial et de soutenir financièrement la SDC du Village. Nous sommes d’ailleurs sur le point d’annoncer différents jalons de la stratégie de revitalisation qui auront un impact positif pour le dynamisme économique du secteur », conclut-il.