Comment ils sont passés de la parole aux actes

D’un côté, il y a un vieux bistro en partie incendié devenu un nid à pigeons. De l’autre, les bâtiments en perdition d’une ancienne quincaillerie. Des immeubles destinés au pic des démolisseurs. Mais, au lieu de démolir, deux municipalités de la Gaspésie ont décidé de les déconstruire à travers un projet-pilote visant à redonner vie aux matériaux.

Le projet fait aujourd’hui école à travers les municipalités du Québec.

Gino Cyr est maire de Grande-Rivière. La ville d’environ 3400 habitants est située au sud-ouest de Percé, près de la baie des Chaleurs. Il raconte que le déshabillage des portes, fenêtres, murs et planchers de la quincaillerie a permis de revendre des matériaux à bas prix dans sa communauté.

PHOTO LUCILE PARRY-CANET, FOURNIE PAR LA RITMRG

Un employé démontant les planches de bois de la structure de la quincaillerie

Ils ont servi à rénover des chalets, à retaper des terrasses, des abris pour les animaux. Par exemple, des poutres de bois (communément appelées des 2 X 4) ont été revendues entre 2 et 3 $. Dans les grands magasins, elles se vendent facilement plus de 10 $.

À Chandler, le maire Gilles Daraiche explique que le bistro situé en plein cœur de la municipalité était dans un état pitoyable.

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Certains matériaux brûlés du bistro ont été transformés en ballots de bois de chauffage pour les citoyens de Chandler.

Un repaire de pigeons. Son conseil municipal s’apprêtait à lancer un appel d’offres pour le démolir quand l’administration a été contactée par la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie (RITMRG).

« Le bistro était devenu une nuisance, en partie contaminée. Il risquait de s’effondrer. Pour démolir, il faut donner un contrat. Un petit projet de démolition, c’est minimum 25 000 $. »

On s’est dit que ça valait la peine de tenter le coup. Surtout que le terrain est vendable et que ça pouvait se traduire par un enrichissement pour nos citoyens.

Gilles Daraiche, maire de Chandler

Exit la démolition

La RITMRG est propriétaire et opératrice du centre de tri des matières recyclables, du site de compostage et du lieu d’enfouissement des déchets des villes de la MRC du Rocher-Percé. La Régie souhaite réduire de 50 % le tonnage vers l’enfouissement provenant des résidus de construction, rénovation et démolition.

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Le bistro de Chandler, partiellement incendié, était devenu un repaire de pigeons et risquait de s’effondrer.

Sa directrice générale, Nathalie Drapeau, jointe au téléphone dans ses bureaux de Grande-Rivière, explique qu’elle a documenté toutes les étapes de l’expérience, qui a bénéficié d’un soutien financier de 180 000 $, provenant entre autres de la Fédération canadienne des municipalités. Elle a présenté ses conclusions auprès de différents partenaires, dont Recyc-Québec et l’École de technologie supérieure (ETS).

« Il faudrait que le mot démolition disparaisse de notre vocabulaire », tranche-t-elle.

Financièrement, on a connu un petit gain de 2 % avec la déconstruction. Mais on a vraiment gagné au niveau de l’enfouissement, de l’économie circulaire.

Nathalie Drapeau, directrice générale de la RITMRG

À Grande-Rivière, la déconstruction de 3 bâtiments formant l’ancienne quincaillerie a pris 28 jours. Il a fallu démonter la toiture, les murs et les planchers, morceau par morceau. À la fin, 70 % de l’ensemble, soit 135 tonnes de matériaux destinés au dépotoir, a été revendu.

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Environ sept semaines de travail ont été nécessaires pour déconstruire le bistro de Chandler et la quincaillerie de Grande-Rivière.

À Chandler, une partie des matériaux du bistro étaient trop endommagés. Ils ont été transformés en ballots de bois de chauffage. Au total, malgré la contamination, 155 tonnes ont été valorisées (74 %), 9 tonnes ont été revendues (4 %) et 47 tonnes transportées à l’enfouissement (22 %).

Succès à reproduire

Contremaître des deux projets de déconstruction, Maxime Tardif, de l’entreprise MTF et Fils, n’hésiterait pas à accepter d’autres contrats. C’est certain que la démolition est plus rapide : deux jours, et c’est fini. Mais le délicat processus de déconstruction a permis de donner du travail à cinq personnes, durant sept semaines, explique-t-il.

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Un travailleur de l’entreprise MTF et Fils démonte la structure de la quincaillerie de Grande-Rivière.

« Des employés ont procédé au triage des matériaux sur place. Lors de la déconstruction du bistro, on a réussi à détourner de l’enfouissement des murs contenant de l’amiante. Ils ont été disposés dans des sacs jaunes pour être acheminés dans des endroits spécialisés. »

L’expérience a démontré que c’est faisable. Par exemple, les métaux ferreux ont été triés pour être recyclés.

Maxime Tardif, de l’entreprise MTF et Fils

Forte du succès, la municipalité de Grande-Rivière a maintenant un terrain vacant en lieu et place de la vieille quincaillerie. Le maire Gino Cyr espère que des entrepreneurs vont se pointer pour un projet immobilier de logements locatifs.

« Nous sommes propriétaires du terrain. Il y a l’espace pour construire 54 unités, des trois et demie et des quatre et demie. On parle constamment de développement durable, en voici un bel exemple. »

À Chandler, les élus ont eux aussi un terrain prêt à accueillir une nouvelle construction. Le maire, Gilles Daraiche, y verrait bien une pâtisserie ou une crèmerie. Il rappelle que sa municipalité est loin d’être épargnée par la crise du logement.

« Le bistro en plein cœur de notre centre-ville ne donnait pas une belle image de notre municipalité. On aimerait que des promoteurs viennent investir dans la région. La déconstruction est enrichissante à tous les niveaux. »