Des policiers ont abandonné une femme paralysée, allongée sur un trottoir d’Ahuntsic, « comme si vous jetiez vos poubelles », a dénoncé lundi un témoin des faits.

« Ils ont sorti la dame de l’auto, ils l’ont traînée à deux, comme si vous jetiez vos poubelles. Ils l’ont laissée comme ça », a relaté un témoin des faits, Vanessa César, à La Presse. Cinq autres témoins oculaires, tous rencontrés lundi, se sont dits troublés par les évènements survenus le 26 septembre dernier près de l’intersection des rues Meunier et Sauriol.

La femme, qui pouvait se mouvoir normalement avant son arrestation quelques dizaines de minutes plus tôt, était complètement paralysée au moment d’être laissée en très fâcheuse posture, devant son HLM, par des policiers du poste local. Près d’une heure s’est écoulée avant qu’une ambulance arrive, après des appels répétés au 911 de voisins.

Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), la police des polices, tente actuellement de faire la lumière sur cet évènement, qui cause beaucoup de remous dans les couloirs du Service de police de la Ville de Montréal.

La Presse a rapporté samedi que deux policiers impliqués ont été assignés à des tâches administratives.

La femme en question aurait été arrêtée et physiquement maîtrisée devant une école où se trouvait son enfant, le 26 septembre, à la sortie des classes. Une ordonnance du tribunal interdisait les contacts entre la mère et le mineur, ce qui a poussé l’école à appeler la police.

« Des cris d’angoisse »

Lundi, six témoins oculaires des faits ont relaté avoir été troublés par les actes de ces policiers. La femme, que La Presse a choisi de ne pas nommer, est restée immobile pendant toute l’attente.

« Elle criait, au début. Des cris d’angoisse », a rapporté Vanessa César, qui rendait visite à une amie à proximité. « Ils auraient dû l’amener à l’hôpital au lieu de la laisser par terre. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le bâtiment devant lequel la femme a été abandonnée.

« Il n’y avait plus rien qui bougeait, elle est restée immobile comme ça sur le sol » jusqu’à l’arrivée des ambulances, a relaté Denis Chénier, qui habite un immeuble tout près.

Il y a du monde qui lui demandait son nom et elle ne répondait pas. Elle disait seulement : “Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir.” Elle ne faisait que dire ça.

Denis Chénier, témoin

Son voisin, Nico Bilima, a été l’un des premiers arrivés sur les lieux. Il a composé le 911 à deux reprises pour signaler qu’une femme incapable de bouger se trouvait sur le trottoir. Au moins une autre personne l’a imité, sans qu’une ambulance se présente rapidement. « On ne pouvait pas risquer de la soulever et que quelque chose arrive, a-t-il relaté. C’était la première fois que je voyais que ça prenait autant de temps pour une ambulance. »

La mère de M. Bilima, Jolly Charlie Amata, a aussi porté assistance à la dame. « Elle était allongée complètement sur le trottoir, vraiment sur le chemin des piétons. Elle bloquait le trottoir », a-t-elle dit. Ils estiment que l’ambulance a mis entre 40 minutes et 1 heure à arriver.

Urgences-santé n’a pas répondu à nos questions sur son délai d’arrivée.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lundi, la femme a affirmé qu’elle se trouvait toujours à l’hôpital du Sacré-Cœur.

La Presse a pu joindre brièvement la femme au centre de cette histoire, lundi après-midi. Elle s’est limitée à affirmer qu’elle se trouvait toujours à l’hôpital du Sacré-Cœur, mais n’a pas voulu préciser son état de santé actuel, pas plus que commenter la situation.

Complètement immobile

Deux vidéos tournées par des témoins des faits circulent dans les couloirs du HLM où la dame habitait. Elles montrent trois policiers qui s’affairent autour d’elle. À un moment, l’un des agents se penche pour tenter de lui faire signer un document, sans succès. Il s’agirait d’une promesse de comparaître, selon des témoins qui en ont trouvé une copie sur la dame.

Les vidéos montrent la dame complètement immobile.

« Le policier ne s’est pas préoccupé de la dame », a dit Entela Duka, qui a tourné l’une d’elles. Elle en a remis une copie aux enquêteurs du BEI. « Ils l’ont laissée comme un chien. Les policiers sont partis. » Elle estime que l’ambulance a mis une heure et demie à arriver.

Mme Entela décrit la dame au centre de l’histoire comme une voisine « normale », avec deux enfants. « Une personne calme. »

Adèle Aboua, qui fréquente la même église qu’elle, s’est présentée devant le HLM lundi dans l’espoir d’avoir de ses nouvelles. « Elle venait avec ses enfants, a-t-elle dit. On ne la voyait plus. »

Arrêtée devant une école

Le BEI avait déjà rendu publique une chronologie des évènements, à la fin du mois de septembre.

Lors de son arrestation devant l’école de son enfant, « la personne serait devenue agitée et agressive envers un des policiers. Les agents auraient alors procédé à l’arrestation de la personne et ils auraient amené au sol celle-ci afin de la menotter au dos », décrit le BEI dans un communiqué diffusé sans faire de vagues.

Après l’arrestation, la femme « aurait alors mentionné avoir mal dans le cou », décrit le BEI.

Quelques minutes plus tard, alors que les policiers veulent la libérer, elle « aurait mentionné être incapable de sortir et elle aurait mentionné avoir des douleurs au cou ainsi que des picotements dans les membres ».

Ce sont finalement les policiers eux-mêmes qui ont sorti la femme de la voiture de patrouille « pour ensuite la déposer au sol sur le dos » devant son domicile. Les policiers ont ensuite quitté les lieux.

« Blessures graves »

Selon nos informations, la femme a été transportée à l’hôpital Fleury, puis à l’hôpital du Sacré-Cœur. C’est là qu’elle a été « opérée pour des blessures graves », selon les termes évoqués par le BEI.

Selon nos informations, la femme impliquée souffre toujours d’une grave paralysie, près d’un mois après les évènements. La Presse n’a pu établir avec certitude la nature du problème qui l’afflige. Le BEI doit aussi faire la lumière sur le lien de causalité entre l’arrestation et le problème de santé.

Selon une source, les enquêteurs du BEI analysent notamment le respect – par les policiers – de l’article du Code criminel qui force tout agent de la paix à porter secours à une personne en difficulté qui se trouve en détention.