Trois policiers qui auraient abandonné une femme paralysée sur un trottoir d’Ahuntsic, fin septembre, ont été arrêtés pour voies de fait graves et non-assistance à personne en danger au cours de l’enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

Cette procédure est très rarement utilisée par la police des polices, mais a été jugée nécessaire en raison de la gravité des accusations, a appris La Presse. Les trois policiers, deux agents et un sergent, ont reçu une mise en garde de la part des enquêteurs du BEI, c’est-à-dire qu’ils ont été arrêtés temporairement, et ont reçu le droit au silence et le droit à l’avocat.

Ils comparaîtront par voie de sommation si un procureur conclut, une fois l’enquête terminée, que des accusations criminelles doivent être portées.

En plus des voies de fait graves alléguées, l’autre article du Code criminel évoqué lors de l’arrestation réfère à l’obligation, pour un agent qui détient un individu, de lui prêter assistance.

« Le BEI n’émettra aucun commentaire jusqu’à la remise du rapport d’enquête », s’est limité à dire l’organisation.

Selon deux sources, l’un des policiers avait seulement quelques mois d’expérience au Service de police de la Ville de Montréal, alors que les deux autres avaient plusieurs années de service. Après leur arrestation et leur interrogatoire, ils ont été libérés et affectés à des tâches administratives.

La Fraternité des policiers et policières de Montréal n’a pas voulu commenter la situation.

La Presse a rapporté mardi le témoignage de six témoins oculaires troublés par la façon dont la femme a été laissée sur la voie publique, face au HLM où elle habitait, vers 16 h 35. Elle avait été arrêtée une heure plus tôt devant l’école de son enfant, avec lequel il lui était interdit d’entrer en contact.

La femme pouvait se mouvoir normalement avant d’être arrêtée par la police. C’est pendant son transport dans la voiture de police qu’elle se serait plainte de ne plus sentir ses membres, selon les informations préliminaires publiées par le BEI.

Elle aurait ensuite été sortie physiquement du véhicule par les policiers et laissée sur le trottoir.

Plus d’une heure d’attente

« Ils ont sorti la dame de l’auto, ils l’ont traînée à deux, comme si vous jetiez vos poubelles. Ils l’ont laissée comme ça », avait décrit une témoin, Vanessa César. « Le policier ne s’est pas préoccupé de la dame », avait dit une autre, Entela Duka.

Ils l’ont laissée comme un chien. Les policiers sont partis.

Entela Duka, témoin de la scène

Tous les témoins avec lesquels La Presse a pu s’entretenir lundi ont exprimé leur surprise quant au délai d’intervention des ambulanciers.

Mardi, Urgences-santé a indiqué qu’il s’était effectivement écoulé 1 heure 3 minutes entre le premier appel au 911 et l’arrivée d’une ambulance sur place. Pendant cette période, au moins six appels aux services d’urgence ont été faits, a ajouté Stéphane Smith, porte-parole d’Urgences-santé.

Ces appels – sauf le dernier – n’incluaient toutefois pas d’informations assez alarmantes pour que l’appel soit priorisé, a indiqué M. Smith.

« Le premier appel est rentré à 16 h 50, chez nous, pour une personne avec une douleur à la main. Respiration normale, complètement réveillée, pas de sang, pas de difficulté à respirer selon ce qui est dit », a-t-il détaillé. Un code de priorité non urgent a été attribué. Quatre autres appels au 911 suivront, sans que ce code soit changé.

« À 17 h 47, là on a de nouvelles informations qui nous disent que la personne serait semi-consciente et qu’elle ne sent pas ses membres », a continué M. Smith. Une ambulance arrive sur place six minutes plus tard.

Ces évènements feront l’objet d’une révision, a-t-il dit.

Les élus troublés

Mardi, les cabinets de la mairesse de Montréal et du ministre de la Sécurité publique du Québec ont communiqué leur consternation quant aux images de l’intervention policière.

« Les informations rapportées dans La Presse de ce matin sont déplorables », a indiqué l’équipe de Valérie Plante dans une déclaration écrite.

Personne ne devrait se retrouver laissé dans ces conditions, à elle-même, sur le trottoir.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

« Nous n’avons pas tous les détails sur la séquence des évènements », a toutefois précisé le cabinet de la mairesse. « Le Bureau des enquêtes indépendantes est sur le dossier, plusieurs questions méritent d’être élucidées pour faire toute la lumière sur les circonstances de l’évènement. »

À Québec, le ministre de la Sécurité publique a lui aussi exprimé son trouble.

« Ce qu’on voit sur la vidéo et les faits rapportés par La Presse, s’ils sont avérés, sont choquants », a affirmé François Bonnardel, dans une déclaration écrite. « Mes pensées sont d’abord pour la citoyenne. »

« Nous avons des mécanismes, comme le BEI et le Commissaire à la déontologie policière qui mènent des enquêtes lorsque requises pour faire la lumière sur la situation, nous ne ferons aucun autre commentaire pour l’instant », ajoutait la déclaration.

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