Un projet de centre supervisé de consommation de drogue, près d’une école primaire et d’un parc du quartier Saint-Henri, à Montréal, soulève colère et appréhension dans son voisinage, alors que la crise de l’itinérance et des surdoses provoque de difficiles cohabitations avec les personnes marginalisées dans plusieurs secteurs de la métropole.

Le centre de prévention des surdoses de la Maison Benoît-Labre n’a pas encore obtenu le feu vert du directeur national de santé publique. Et le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, n’est pas encore convaincu qu’il ait l’acceptabilité sociale nécessaire pour aller de l’avant.

« On s’attend à ce qu’il y ait plus d’information et plus de sensibilisation, pour que toutes les parties impliquées soient rassurées. Il reste encore beaucoup de questions », a indiqué l’attaché de presse de M. Carmant, Lambert Drainville, en entrevue téléphonique jeudi.

Une rencontre d’information tenue mercredi soir a attiré des résidants du voisinage et des parents dont les enfants fréquentent l’école Victor-Rousselot, à un jet de pierre du centre projeté. Un rendez-vous qui n’a pas calmé les inquiétudes de tous.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pour le père de famille Raoul Ortez, « un tel centre n’a pas sa place à proximité d’une école ».

« Je suis loin d’être rassuré », commente Raoul Ortez, résidant du quartier et père de sept enfants, dont trois inscrits à l’école Victor-Rousselot. « Plusieurs questions qui ont été posées [mercredi] n’ont pas obtenu de réponses. »

« L’idée est bonne. Comme société, il faut aider les personnes qui en ont besoin. Mais un tel centre n’a pas sa place à proximité d’une école », poursuit le père de famille, qui confie avoir lui-même été toxicomane dans sa jeunesse.

Injection et inhalation

Le service de consommation supervisée est un projet de la Maison Benoît-Labre, qui opère actuellement un centre de jour pour sans-abri dans le sous-sol de l’ancienne église Saint-Zotique, rue Notre-Dame. L’organisme déménagera sous peu dans un nouvel immeuble, dont la construction sera bientôt terminée, avenue Greene. Le bâtiment de brique comportera 36 studios pour personnes sans-abri et un centre communautaire, en plus d’un centre de prévention des surdoses, où les consommateurs pourront s’injecter ou fumer des drogues illicites.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

L’immeuble en construction, avenue Greene, abritera des appartements pour personnes sans-abri et un centre supervisé de consommation de drogue.

Lisez « Un premier centre d’inhalation supervisée à Montréal »

C’est ce centre qui suscite une levée de boucliers.

Juste à côté, des dizaines d’enfants crient, courent et jouent dans le parc Victor-Rousselot, qui jouxte l’école du même nom. Le parc est utilisé pour les cours d’éducation physique et par le service de garde de l’école.

Une pétition en ligne contre l’ouverture du centre a recueilli 2691 signatures jusqu’à maintenant. Une autre pétition en soutien au projet en a de son côté obtenu près de 500.

« On a vu, avec le centre Cactus, que c’est un désastre pour les résidants du centre-ville. Alors ça va être la même chose ici », s’indigne Raoul Ortez, en faisant référence au service d’injection supervisée installé dans une rue maintenant surnommée « allée du crack ».

Lisez « Les résidants de l’“allée du crack” n’en peuvent plus »

Valérie Savoie, une mère du quartier, vit non loin de l’emplacement actuel de la Maison Benoît-Labre, en face du parc Sir-George-Étienne-Cartier. Le parc, dit-elle, est devenu le repaire de trafiquants et de consommateurs de drogues. Les résidants ont cessé de le fréquenter.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Valérie Savoie

« On trouve des seringues, des pipes à crack et toutes sortes de déchets. Il y a des cris et des batailles », déplore-t-elle.

La Santé publique de Montréal dit oui

Si elle dit « reconnaître les préoccupations exprimées par des parents et des résidants », la direction de la Santé publique de Montréal a tout de même donné son aval au projet de centre de prévention des surdoses.

« Cette recommandation a été prise dans un contexte d’urgence d’agir face à la double crise des surdoses et de l’itinérance qui secoue la région de Montréal », explique Luc Fortin, porte-parole de la Direction régionale de santé publique de Montréal, dans un courriel envoyé en réponse aux questions de La Presse.

La balle est maintenant dans le camp du directeur national de santé publique, Luc Boileau, qui doit accorder à la Maison Benoît-Labre une exemption lui permettant d’accueillir des consommateurs de substances illégales dans son futur centre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le parc Victor-Rousselot, à côté de l’éventuel centre de prévention des surdoses de la Maison Benoît-Labre

Le ministre Lionel Carmant s’attend à ce qu’il y ait une certaine « acceptabilité sociale » pour le projet. « Il faut que tous soient autour de la table et trouvent un terrain d’entente », souligne l’attaché de presse Lambert Drainville.

« On croit au projet, c’est primordial qu’on ait ce type de ressource dans une optique de réduction des méfaits et de prévention des surdoses. Mais on comprend qu’il y ait des craintes et c’est important qu’on les écoute », note-t-il.

« La crise des opioïdes frappe de plein fouet la métropole et nécessite des mesures urgentes pour sauver des vies et limiter la consommation dangereuse de drogues qui se déroule dans les rues. Les préoccupations de la population du secteur exprimées hier soir sont légitimes et sont prises très au sérieux par l’ensemble des partenaires », a réagi le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, dans une déclaration écrite.

Comité de bon voisinage

« Acceptabilité sociale ne veut pas dire unanimité sociale », fait remarquer la directrice générale de la Maison Benoît-Labre, Andréane Désilets. « Pour considérer qu’il y a acceptabilité sociale, il faut avoir un plan qui prévoit de garder une bonne communication avec la population et qui assure la sécurité de certains espaces publics. Et c’est ce qu’on a mis en place. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice générale de la Maison Benoît-Labre, Andréane Désilets, devant l’immeuble en construction en août dernier

Un « comité de bon voisinage » a en effet été créé pour que les voisins du futur centre puissent faire entendre leurs préoccupations.

« Mais peut-être que les gens ne comprennent pas la complexité des problèmes d’itinérance et de consommation », poursuit Mme Désilets.

Actuellement, les toxicomanes vivant dans le quartier s’injectent ou fument leur drogue dans l’espace public, rappelle-t-elle.

Des résidants nous disent que ça se passe sur leur balcon. Mais le but de notre espace de consommation est justement de fournir un endroit sécuritaire pour la consommation de drogue.

Andréane Désilets, directrice générale de la Maison Benoît-Labre

Andréane Désilets souligne que l’embourgeoisement du quartier Saint-Henri, au cours des dernières années, a provoqué une hausse du prix des loyers, ce qui fait que les plus démunis n’ont plus les moyens de s’y loger. C’est aussi ce qui exacerbe les problèmes de cohabitation.

Elle demeure néanmoins optimiste et dit s’attendre à obtenir les approbations gouvernementales « sous peu ».

« Il y aura toujours de l’opposition à ce type de projet, mais nous sommes convaincus que ça va améliorer la situation dans la communauté », conclut-elle.