L’obligation d’installer et enlever les cônes en 24 heures sur les chantiers provoquera du chaos et accentuera la congestion sur les routes, craint l’industrie de la construction. La Ville de Montréal, elle, assure croire au bien-fondé de l’initiative, mais mettra tout de même en place une transition douce pour cet été.

Ce qu’il faut savoir

  • Dès vendredi, les entrepreneurs en construction auront l’obligation d’installer et désinstaller leur signalisation entourant un chantier 24 heures avant le début ou après la fin des travaux.
  • Certains craignent que la nouvelle mesure de la Ville n’entraîne des coûts supplémentaires et encore plus de congestion.
  • La Ville donnera toutefois une période de transition, en acceptant pour cet été que les permis accordés avant le 24 juin soient temporairement délivrés de cette exigence.

Cette mesure avait été annoncée par la Ville à la fin du mois de mars, en marge du Sommet sur les chantiers, avec l’objectif de lutter contre le « nombre important de chantiers fantômes ». Son application entrera en vigueur vendredi, obligeant donc les constructeurs à démanteler et réinstaller leur signalisation seulement 24 heures avant le début ou après la fin d’un chantier.

À l’origine, un délai de 12 heures avait été évoqué par la Ville, qui avait ensuite accepté d’aller jusqu’à 24 heures à l’issue de rencontres avec l’industrie durant la même journée. Bon nombre d’entreprises espéraient pouvoir en discuter davantage lors d’une « rencontre de suivi » tenue la semaine dernière.

Cette rencontre a bien eu lieu mardi dernier, sauf que des entrepreneurs en construction faisant affaire avec la Ville consultés par La Presse disent plutôt avoir été « mis devant le fait accompli », sans possibilité de négociations.

« Encore plus de congestion »

À l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure (AQEI), la directrice Caroline Amireault confirme que l’industrie est inquiète, celle-ci ayant normalement pour habitude de faire un maximum de travaux la nuit pour éviter d’amplifier la congestion durant la journée.

« Il faut comprendre que souvent, les entreprises vont installer leur signalisation dès le vendredi ou le samedi soir pour qu’un chantier commence le lundi. Là, avec les 24 heures, ils ne pourront plus le faire. Ça va retarder des travaux, mais surtout, pour démobiliser un chantier ensuite, ils vont devoir le faire de jour et non de nuit, ce qui risque d’engendrer encore plus de congestion. Ça va être plus d’inconvénients que d’avantages », explique-t-elle.

Pour Mme Amireault, « c’est correct que la mairesse veuille envoyer un signal aux citoyens pour fluidifier la circulation ». « Mais procéder ainsi, ça va aussi mettre nos travailleurs à risque. La nuit, quand on installe ou désinstalle, il y a nettement moins de risque pour les signaleurs que le jour », persiste Mme Amireault.

La nuit, c’est aussi beaucoup moins long de se rendre sur les chantiers. Plus de temps, ça veut dire plus de coûts pour la Ville.

Caroline Amireault, directrice générale de l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructures

Elle affirme que sur des chantiers comme le service rapide par bus (SRB) Pie-IX par exemple, « c’est tout simplement impossible de démobiliser en 24 heures ».

Son groupe craint que la situation repousse encore plus d’entrepreneurs en dehors de Montréal. Pour elle, l’essentiel serait surtout de « travailler à avoir une meilleure organisation et une meilleure synchronisation des chantiers en général ». « C’est vraiment là-dessus qu’il faut travailler, en plus de faire de l’éducation aux citoyens. Je suis pas mal sûre que si on leur expliquait que ça va coûter plus cher, la population aimerait mieux attendre trois jours. »

Le son de cloche est le même pour le président de l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec (ATSRQ), Jean-François Dionne. « Il va falloir constamment réinstaller et désinstaller des chantiers quand les entrepreneurs vont manquer de pièces ou de main-d’œuvre. On est déjà en pénurie d’employés. Il manque au moins 1000 signaleurs et installeurs seulement à Montréal. Ça va être l’enfer », dit-il.

« On comprend tous que la mairesse ne veut pas voir les cônes traîner, mais ça va trop loin, trop vite. Et ce sont les signaleurs qui vont en premier ressentir la colère du monde. On aurait pu d’abord obliger les entreprises à faire une patrouille au quotidien, sur tous leurs chantiers. C’est avec ça qu’on aurait dû commencer », ajoute M. Dionne.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Au bout du compte, l’intention de la Ville, « c’est vraiment d’accompagner les entreprises dans le changement », affirme la responsable des infrastructures au comité exécutif de Montréal, Émilie Thuillier.

Une transition douce, promet Montréal

Au comité exécutif montréalais, la responsable des infrastructures, Émilie Thuillier, assure que les changements seront « graduels » cet été. « Le 24 juin, ce qui se passe, c’est que sur tous les permis, la mention des 24 heures va être clairement indiquée. Mais les permis délivrés avant le 24 juin, ils n’auront pas cette mention-là », explique l’élue.

En fait, la Ville estime que pour cet été, sa nouvelle règle ne touchera qu’environ 25 % des chantiers. « Le 100 %, ce sera pour la saison suivante », glisse Mme Thuillier.

L’élue dit toutefois s’attendre « à la collaboration de tout le monde, même cet été ». « Le statu quo n’est juste plus possible. Tout le monde compte sur nous pour améliorer la gestion des chantiers. Et une des choses à faire, justement, c’est de réduire les entraves et leur durée, surtout quand il n’y a pas de travaux », poursuit-elle.

« Bien sûr qu’on va suivre au fur et à mesure pour s’adapter, et évaluer les impacts de nos mesures pour l’industrie de la construction », ajoute Mme Thuillier. Mais elle persiste et signe dans la foulée : « On regardera aussi et surtout l’état de la fluidité aux abords des chantiers pour la population. »

Au bout du compte, l’intention de la Ville, « c’est vraiment d’accompagner les entreprises dans le changement ». « On est conscients que c’est tout un changement et on va être là pour tout le monde. Mais en ce moment à Montréal, le fait est que c’est extrêmement frustrant pour tout le monde de voir des entraves qui ne servent à rien, et qui coûtent cher aussi ! », avance celle qui est aussi mairesse d’Ahuntsic-Cartierville.

L’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau concède que la mesure de la Ville « entraînera forcément des coûts supplémentaires pour les entrepreneurs ». « Cela dit, on est dans une situation de contrat social entre l’industrie et les citoyens, qui ont besoin d’accéder à la rue, aux stationnements. Ça va être difficile, il y aura des ajustements, mais c’est une mesure nécessaire », conclut-il.