Douze patientes soignées entre juin 2020 et 2021 à l’Hôpital pour femmes de Colombie-Britannique ont chacune déposé mercredi une poursuite civile contre la fausse infirmière en série Brigitte Cléroux. Les plaignantes lui reprochent de les avoir soignées alors qu’elle « ne possédait pas de permis ou de qualification pour être engagée comme infirmière en Colombie-Britannique ou dans d’autres États ».

Les plaignantes poursuivent du même coup le Collège des infirmières et des sages-femmes de Colombie-Britannique et l’agence de santé de la province. Dans les documents judiciaires consultés par La Presse, on peut lire que Brigitte Cléroux aurait notamment examiné des patientes, installé des intraveineuses et administré des médicaments, dont des narcotiques et des sédatifs. Les plaignantes disent avoir subi des dommages physiques et psychologiques importants, notamment des douleurs et du stress, en plus d’avoir perdu confiance dans le système de santé.

Les poursuites s’ajoutent à plus d’une soixantaine de condamnations accumulées par Brigitte Cléroux au fil des ans au Canada et aux États-Unis, selon des documents judiciaires.

Dès 1991, alors qu’elle n’a que 19 ans, la native d’Ottawa est arrêtée et plaide coupable à des accusations d’usurpation d’identité et d’usage de faux en Abitibi, peut-on lire au plumitif québécois. Elle écope d’une peine d’un mois de prison.

Elle commet des gestes semblables à différents endroits en 1992, 1993 et 1994, est-il écrit dans un jugement ontarien de 2022.

Puis, en 2002, Cléroux est reconnue coupable de méfait et de dommages matériels en Floride, où elle est étiquetée comme « fugitive », selon des documents judiciaires. À ce moment, elle se trouve déjà ailleurs : au Colorado, où elle termine deux de quatre années de formation comme infirmière, toujours selon un jugement en cour criminelle de l’Ontario.

À Colorado Springs, Cléroux tente de se faire embaucher comme infirmière en falsifiant des documents de formation, selon un document judiciaire déposé à la cour du comté de Denver. Elle sera condamnée pour ces gestes. Mais il semble qu’elle ait échappé à la justice en s’établissant au Canada vers 2002, raconte le magazine Maclean’s dans un grand portrait de la principale intéressée publié en 2022. C’est au Canada qu’elle accouchera d’une fille, en mars 2002. L’enfant a été conçu d’un père américain, selon Maclean’s.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Photos de Brigitte Cléroux publiées dans un article faisant référence à un des noms qu’elle a utilisés dans le passé, Brigitte Marier

Sur une photo de son dossier criminel américain prise à l’époque, Cléroux affiche de longs cheveux noirs, mais elle n’est pas maquillée. Une image qui contraste fortement avec plusieurs autres clichés pris dans les années suivantes et sur lesquels elle arbore de longs cils noirs couverts d’une forte couche de mascara.

Entre 2004 et 2013, Brigitte Cléroux utilise différents noms pour travailler comme enseignante ou infirmière à différents endroits en Ontario, au Québec et en Alberta (voir autre texte). Elle purgera des peines de prison pour ces gestes.

Elle habitera ensuite en alternance en Ontario et au Québec. En 2018, elle est reconnue coupable d’avoir fraudé un complexe d’habitation de Gatineau pour plus de 7000 $, peut-on lire au plumitif. Elle utilise frauduleusement l’identité d’au moins quatre personnes et vole et utilise des chèques en blanc d’un salon de coiffure de Mississauga, toujours selon le plumitif. Elle travaille aussi dans trois résidences pour aînés comme infirmière et vole 23 000 $ à un homme de 102 ans, apprend-on dans un jugement de la cour criminelle ontarienne rendu en avril 2022. Elle se fait imposer différentes peines pour ces crimes. Elle fait de courts séjours en prison, notamment à Joliette, selon des documents judiciaires consultés par La Presse au palais de justice de Gatineau.

Plus de 1000 victimes potentielles

Cléroux se fait embaucher par une agence de placement de personnel infirmier de Vancouver en mars 2020. CBC révélera qu’elle a travaillé à la Royal Arch Masonic Home, une résidence pour personnes âgées, et dans une clinique chirurgicale de la région. L’infirmière Rupi Cheema, qui a côtoyé Cléroux à cette époque, la décrira comme quelqu’un d’« impoli et non professionnel » à une journaliste de la CBC en janvier 2022.

À partir de juin 2020, Brigitte Cléroux travaille pendant un an comme infirmière à l’hôpital pour femmes de Colombie-Britannique en utilisant encore une fois une fausse identité.

En juin 2021, le Collège des infirmières et des sages-femmes de la province émet un avis affirmant qu’une femme se faisant appeler Mélanie Smith, Melanie Thompson ou Melanie Cleroux n’a pas les compétences pour travailler comme infirmière. Il s’agit de Brigitte Cléroux.

Cela ne ralentit en rien la criminelle. Celle-ci se fait engager en Ontario, où elle travaille en juillet et août 2021 à la clinique de fertilité OriginElle d’Ottawa et à la clinique dentaire Argyle en se faisant passer pour Mélanie Smith et Mélanie Gauthier, peut-on lire dans le jugement ontarien de 2022. Elle y soigne 20 patients, dont un enfant.

Elle est épinglée par l’Association des infirmières enregistrées de l’Ontario qui émet un avis dès la fin d’août. Des accusations criminelles sont déposées contre Cléroux quelques semaines plus tard tant en Ontario qu’en Colombie-Britannique.

Le 22 avril 2022, elle sera condamnée à 7 ans de prison en Ontario. On l’accuse notamment d’avoir utilisé des aiguilles sur des patientes sans posséder la formation requise. Dans son jugement, le juge Robert Wadden mentionne que Cléroux a eu une « relation trouble » avec ses parents dès l’enfance. Il cite un rapport psychiatrique où l’accusée dit « choisir la fraude pour calmer ses sentiments plutôt que de vivre des désagréments émotionnels ». Elle dit avoir été « impulsive depuis toujours » et avoir le « désir de présenter une façade montrant qu’elle a du succès financier ».

Les 12 nouvelles patientes qui poursuivent Brigitte Cléroux au civil s’ajoutent à 5 autres qui avaient déposé des actions similaires depuis juin. Une demande d’autorisation d’action collective a aussi été déposée dans cette province contre les autorités de santé, que l’on accuse d’avoir fait preuve de négligence en engageant une infirmière non qualifiée. Brigitte Cléroux fait également face en tout à 14 chefs d’accusations criminelles en lien avec les évènements de Vancouver, mais aussi pour s’être fait passer pour une infirmière dans une clinique dentaire de Surrey et à Victoria.