(Sacré-Cœur ) Du haut des airs, la vue est à couper le souffle. À perte de vue, la forêt est omniprésente. Mais au nord de la municipalité de Sacré-Cœur, sur la Côte-Nord, c’est l’un des territoires les plus difficiles pour l’industrie forestière, selon André Gilbert, directeur général de Boisaco, une coopérative formée par des travailleurs et des citoyens de la région en 1985.

« Nous sommes dans l’un des territoires les plus difficiles de la province, sinon le plus difficile », signale M. Gilbert, qui dirige Boisaco depuis 2008. Du haut d’un hélicoptère AS350 B3, qui survole le territoire exploité par Boisaco, on constate que le paysage souvent escarpé ne favorise pas le passage de la machinerie nécessaire pour la coupe d’arbres.

  • La Presse a pu accompagner une équipe de Boisaco qui a survolé son territoire sur la Côte-Nord en hélicoptère pour faire un état des lieux.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    La Presse a pu accompagner une équipe de Boisaco qui a survolé son territoire sur la Côte-Nord en hélicoptère pour faire un état des lieux.

  • De gauche à droite : le pilote de l’hélicoptère AS350 B3 Émeric Beaudet, le directeur général de Boisaco, André Gilbert, le directeur des opérations forestières de l’entreprise, Benjamin Dufour, et le journaliste de La Presse

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    De gauche à droite : le pilote de l’hélicoptère AS350 B3 Émeric Beaudet, le directeur général de Boisaco, André Gilbert, le directeur des opérations forestières de l’entreprise, Benjamin Dufour, et le journaliste de La Presse

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Pendant deux jours, à la mi-octobre, La Presse a pu accompagner une équipe de Boisaco qui a survolé son territoire en hélicoptère pour faire un état des lieux. L’appareil s’est aussi posé dans plusieurs zones touchées par des incendies de forêt depuis 1991.

Le territoire de Boisaco est un condensé des enjeux qui touchent l’industrie forestière depuis quelques années. On y trouve une immense zone que les Innus de Pessamit veulent mettre à l’abri de l’industrie pour protéger le caribou des bois, une sous-espèce menacée. Les changements climatiques – et les incendies de forêt qui en découlent – sont l’autre principal obstacle qui se dresse pour la récolte de bois.

Le jeune pilote Émeric Beaudet, de la compagnie Peak Aviation, pose son hélicoptère à la limite de l’incendie numéro 353 qui a rasé de nombreux hectares de forêt au cours de l’été. Rapidement, nous parcourons à pied une forêt lugubre où la plupart des arbres tiennent encore debout, même s’ils sont tous morts.

  • Nous parcourons à pied une forêt lugubre où la plupart des arbres tiennent encore debout, même s’ils sont tous morts.

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    Nous parcourons à pied une forêt lugubre où la plupart des arbres tiennent encore debout, même s’ils sont tous morts.

  • Les arbres se sont littéralement calcinés pendant l’incendie et leur écorce est maintenant recouverte de suie.

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    Les arbres se sont littéralement calcinés pendant l’incendie et leur écorce est maintenant recouverte de suie.

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« Faites attention à ne pas porter votre main à votre visage si vous touchez à un arbre », prévient André Gilbert. Ceux-ci se sont littéralement calcinés pendant l’incendie et leur écorce est maintenant recouverte de suie, donnant un aspect sinistre à la forêt composée principalement d’épinettes noires.

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« C’est triste de voir ça, pour un forestier », lance Benjamin Dufour, directeur des opérations forestières chez Boisaco, qui est aussi directeur général de la coopérative de travailleurs forestiers COFOR, actionnaire de Boisaco. « Ça », c’est une forêt brûlée qui n’a pas encore été récupérée avant que le longicorne noir, un insecte friand d’arbres morts, n’y fasse ses trous pour y pondre et y déposer ses œufs.

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André Gilbert, directeur général de Boisaco, montre un arbre affecté par le longicorne noir.

La période pour récupérer le bois après un incendie est d’environ huit mois, au maximum un an, explique André Gilbert. Passé ce délai, le bois risque de ne plus avoir de valeur pour l’industrie forestière, en raison des dommages causés par le longicorne. Une forêt brûlée dont les arbres n’ont pas été récupérés limite également les possibilités de reboisement, plaident les deux hommes.

Même si ces arbres brûlés se trouvent sur le territoire de Boisaco, personne ne peut les récupérer sans l’autorisation du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). Le Ministère, de son côté, doit aussi mener des consultations avant de donner son feu vert. Dans ce cas-ci, le territoire ravagé par l’incendie 353 se trouve aussi dans la zone projetée pour une aire protégée réclamée par les Innus de Pessamit.

Or, cette communauté autochtone refuse que le bois brûlé soit récupéré puisque la zone pourrait devenir une aire protégée, soutient André Gilbert. « Ça n’empêcherait nullement la création d’une zone protégée, qu’on aille chercher ce bois », plaide-t-il.

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Quelques mois à peine après l’incendie numéro 353, la vie reprend lentement dans la forêt. Des plantes de la famille des éricacées, dont le thé du Labrador, ont déjà commencé à pousser.

« Une forêt qui vient de brûler, c’est un hot spot de biodiversité, rappelle cependant Évelyne Thiffault, professeure au département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval. Le bois mort, ça va attirer les insectes, qui vont attirer les oiseaux. Et aller récupérer le bois, ça a aussi des impacts », dit-elle.

La zone du feu 353 illustre le dilemme qui se posera plus fréquemment avec les changements climatiques et les incendies de forêt qui risquent d’être plus importants : laisser la forêt se régénérer naturellement, ou reboiser, comme le demande l’industrie forestière ?

Pour une entreprise comme Boisaco, dont le territoire est déjà difficile à exploiter, les décisions à venir pourraient s’avérer cruciales.

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Le DG de Boisaco appuie l’idée de revoir les pratiques d’aménagement, de protéger le caribou et de créer des aires protégées dans le nord du Québec, mais demande qu’on ne provoque pas de « cassure » dans son entreprise, qui fait vivre toute une communauté.

Le forestier en chef a raison. Il faut revoir nos façons d’aménager la forêt et ça presse. On arrive à un tournant pour l’industrie forestière et les communautés qui en dépendent.

André Gilbert, directeur général de Boisaco

Le DG de Boisaco appuie l’idée de revoir les pratiques d’aménagement, de protéger le caribou et de créer des aires protégées dans le nord du Québec. En revanche, il demande qu’on ne provoque pas de « cassure » dans son entreprise, qui fait vivre toute une communauté.

« Oui, il faut protéger et aménager davantage [la forêt], mais ça prend un plan pour qu’il n’y ait pas de cassure dans le système », dit-il. Une cassure, ce serait une baisse significative du volume de bois que pourrait récolter Boisaco.

« La fameuse transition dont tout le monde parle [pour l’industrie forestière], nous, ça fait longtemps qu’on l’a faite. On veut maintenir notre approvisionnement, parce qu’on a toute une filière qui en dépend », précise M. Gilbert.

Cette filière, ce sont plusieurs entreprises affiliées à Boisaco qui assurent une deuxième et même une troisième transformation du bois récolté. Panneaux de porte, granulés faits de sciure de bois, litière pour les chevaux, etc.

« On utilise 100 % de la ressource chez Boisaco, lance d’ailleurs fièrement son directeur général. Pour nous, le profit, c’est un moyen, pas une fin. Tous les membres de la coopérative reçoivent une partie des profits. Mais ce qui fait notre force, c’est que 70 % de nos bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise. »

« Nous vivons de la forêt, mais nous vivons aussi dans la forêt. Nous aussi, on veut la conserver, mais on veut aussi permettre à notre communauté de continuer d’exister », soutient André Gilbert.