(Sacré-Cœur ) Les incendies de forêt posent un immense défi : que faire après le passage du feu ? Et comment rendre la forêt plus résiliente face aux changements climatiques ?

Pendant le survol en hélicoptère du territoire situé au nord de la municipalité de Sacré-Cœur, La Presse a observé deux secteurs qui ont subi des incendies de forêt en 1991.

Plus de 30 ans plus tard, les différences sont notables entre la zone du « feu de la Bouleau » et celle du « feu de l’Est ». Dans la première, les arbres brûlés ont été récupérés et de nouveaux arbres ont été plantés, alors que la deuxième a été laissée à elle-même après le passage du feu.

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Le directeur général de Boisaco André Gilbert et le directeur des opérations forestières de l’entreprise Benjamin Dufour observent des arbres qui ont été plantés il y a environ une trentaine d’années après un incendie qui a ravagé une partie du territoire.

Une fois l’hélicoptère posé dans le secteur du « feu de la Bouleau », le directeur général de Boisaco, André Gilbert, compte les anneaux de croissance d’une épinette noire qu’il vient de couper. Un arbre d’une trentaine d’années, qui a dû être planté un an ou deux après le feu de 1991. Dans la zone du « feu de l’Est », les arbres sont deux fois plus jeunes, puisque les graines peuvent mettre un certain temps avant de germer et de pousser de façon naturelle.

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Le directeur général de Boisaco, André Gilbert, compte les anneaux de croissance d’une épinette noire qu’il vient de couper.

Si tout va bien, les arbres plantés dans le secteur du « feu de la Bouleau » pourront être coupés vers 2060. « Nous ne serons plus là pour voir ça », soulignent André Gilbert et Benjamin Dufour. Une épinette noire prend en moyenne 70 ans avant d’être « mature », c’est-à-dire d’une taille acceptable pour la coupe. Dans le cas du pin gris, la croissance est plus courte avant d’atteindre la maturité, soit une cinquantaine d’années.

S’il y a des avantages indéniables à replanter des arbres après le passage d’un incendie, cette solution n’est cependant pas une panacée, plaident plusieurs experts.

« On a récolté ce qu’on a semé avec les feux de cet été », souligne Pierre Drapeau, professeur au département des sciences biologiques à l’UQAM et membre du Centre d’étude de la forêt. On fait surtout, au Québec, une foresterie basée sur la récolte de la forêt naturelle. Or, une telle stratégie mène inévitablement à un rajeunissement de la forêt. Et une forêt plus jeune est beaucoup moins résiliente face aux changements climatiques, précise M. Drapeau.

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Avec des arbres plus jeunes, surtout dans le cas de l’épinette noire, une forêt est plus à risque de subir des accidents de régénération.

Avec des arbres plus jeunes, surtout dans le cas de l’épinette noire, une forêt est plus à risque de subir des accidents de régénération. Ces arbres mettent des décennies avant de produire des cocottes qui vont produire des graines. S’ils meurent avant d’avoir atteint leur maturité, la forêt ne pourra se reproduire naturellement.

Selon Yan Boulanger, chercheur au Service canadien des forêts, ne rien faire n’est pas une option devant les changements climatiques. « Si on continue de faire business as usual, on peut même mettre en péril les communautés forestières », croit-il.

Le chercheur dit comprendre que l’industrie forestière s’inquiète de la diminution de ses récoltes, « mais il y aura aussi des baisses de capacités avec les changements climatiques », précise-t-il.

La clé sera de revoir nos façons d’aménager la forêt, estime M. Boulanger, qui souligne du même coup qu’il n’y aura pas « de solutions mur à mur ».

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La « rétention variable » implique qu’on laisse entre 10 % et 15 % des arbres intacts lors d’une opération de coupe.

L’une des solutions, c’est de faire de la « rétention variable », explique le chercheur, c’est-à-dire qu’on laisse entre 10 % et 15 % des arbres intacts lors d’une opération de coupe. Si un incendie détruit éventuellement cette zone, il y aura suffisamment de graines provenant d’arbres matures pour que la forêt se régénère.

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La « rétention variable » implique qu’on laisse entre 10 % et 15 % des arbres intacts lors d’une opération de coupe.

Une autre option serait de permettre « une production ligneuse intensive sur de petites parties du territoire », note-t-il. « Avec une telle approche, on pourrait compenser une perte de 12 à 14 % de territoire forestier [disponible pour l’exploitation] sur une superficie ne représentant que 2 à 4 % du territoire exclu. »

Des solutions bien connues du directeur général de Boisaco, André Gilbert. Ce qui l’inquiète, c’est la façon dont elles seront déployées.

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André Gilbert, directeur général de Boisaco

On doit aller vers ça [un aménagement différent], mais il faudra y aller progressivement, sinon ce seront nos communautés qui vont écoper.

André Gilbert, directeur général de Boisaco

Peu importe les stratégies qui seront retenues, le Québec devra améliorer le suivi des forêts, lance Évelyne Thiffault, professeure au département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval. « On n’est pas bons pour suivre nos plantations. Mais si on améliore notre suivi, il y a aussi des chances qu’on augmente notre productivité [forestière]. »

« Un coup qu’on a dit ça, observe-t-elle, dans les faits, ce n’est pas si facile à faire. »