(Val-David) Le derecho qui a balayé les Laurentides en mai 2022 a abattu des milliers d’arbres du parc régional de Val-David – Val-Morin, laissant des pans de forêt béants. Le parc et l’organisme Éco-corridors laurentiens ont saisi l’occasion pour planter des espèces nobles, comme le chêne rouge et le pin blanc, en espérant être imités dans la région.

Les visiteurs qui circulent dans le secteur Dufresne du parc régional de Val-David – Val-Morin peuvent y apercevoir de gros tubes en mailles de plastique blanc, à l’abri desquels poussent de petits chênes rouges.

C’est Julien Fortier, un passionné de la restauration forestière, qui en a eu l’idée, en voyant les trouées créées par le passage du derecho.

« La forêt aurait repoussé d’elle-même, c’est juste que j’ai vraiment vu ça comme une occasion », résume ce chargé de projet et chercheur en agroforesterie pour Éco-corridors laurentiens.

En abattant et en déracinant de grands arbres, le derecho a permis des percées de lumière abondante, une condition essentielle pour la croissance des chênes.

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Julien Fortier, chargé de projet et chercheur en agroforesterie pour Éco-corridors laurentiens, montre un petit chêne rouge régulièrement brouté par les cervidés sur son terrain. Les chênes rouges entourés d’un protecteur, comme celui au premier plan, poussent beaucoup plus rapidement.

Le chêne rouge, présent dans la région, était un bon candidat pour profiter de cette occasion rare. On en retrouve plus haut dans le parc, sur le mont Césaire, mais pas en bas, près des sentiers fréquentés par les cerfs de Virginie.

Ici, tout le feuillu se fait brouter et après, les épinettes et les sapins vont prendre le dessus. Si nos forêts feuillues se transforment en forêts de conifères, on perd des habitats vraiment intéressants pour la biodiversité.

Julien Fortier, chargé de projet et chercheur en agroforesterie pour Éco-corridors laurentiens

Il faut donc aider un peu la nature. Lorsqu’ils sont protégés de la voracité des chevreuils, les chênes rouges peuvent prospérer, a démontré la Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est. Après six ans, les arbres entourés d’une cotte de mailles étaient trois fois plus hauts, et leur taux de survie était également presque trois fois plus élevé, a conclu une étude à laquelle M. Fortier a participé.

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Chêne rouge poussant entre deux épinettes et une ligne d’arbres en bordure de rue.

Le directeur général du secteur Dufresne a accueilli le projet avec enthousiasme.

« Instantanément, j’ai fait : ‟Wow ! » C’est le fun de pouvoir choisir ces essences, surtout en bordure de sentier. Des arbres qui peuvent grossir et devenir centenaires, c’est sûr que c’est beau, et plus durable aussi », s’enthousiasme Jean-François Boily.

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Julien Fortier montre un chêne rouge qui pousse à l’abri des cervidés dans le parc régional de Val-David – Val-Morin, grâce à un protecteur fabriqué en clôture recyclée.

Pour le treillis de plastique nécessaire à la fabrication des protecteurs, la mairesse de Val-David a tout de suite pensé à la Recyclerie des matériaux de Sainte-Agathe-des-Monts, dont elle a déjà été la patronne. « On en voyait passer beaucoup, de la clôture comme ça ! On a eu un gros lot de clôture blanche, ça a coûté 20 $ et ç’a été détourné de l’enfouissement », souligne Dominique Forget.

Des arbres fournis par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, les employés du parc et une subvention de la MRC ont contribué au projet.

Changements climatiques

Le chêne n’est pas qu’esthétique. C’est une espèce intéressante pour les changements climatiques, souligne M. Fortier.

[Le chêne] est un arbre qui tolère beaucoup la sécheresse, car il fait une grosse racine pivotante très creux dans le sol, et qui n’a pas besoin d’un sol très fertile.

Julien Fortier, chargé de projet et chercheur en agroforesterie pour Éco-corridors laurentiens

Avec ses racines et ses feuilles qui enrichissent le sol, son bois dur et sa longévité, il contribue de façon importante au stockage du carbone.

Et ses glands constituent un « garde-manger » pour beaucoup d’animaux – écureuil, dindon, souris, campagnol, plusieurs espèces d’oiseaux et même le cerf de Virginie.

Les 200 chênes du projet ont été plantés dans diverses zones du parc, et seulement la moitié sont entourés d’un treillis, afin de voir dans quels environnements ces protecteurs sont absolument indispensables.

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Ce petit chêne rouge non protégé a été brouté par des cerfs de Virginie.

En bordure des sentiers, on voit déjà une différence. Les chênes non protégés restent petits, leur appétissante repousse étant grignotée au fur et à mesure.

Une centaine de pins blancs, majestueux résineux autrefois beaucoup plus présents au Québec, ont également été plantés dans le cadre de ce projet pilote.

« Les chevreuils vont manger tout ce qui est le plus nourrissant au début, et changer quand il n’y en a plus. C’est pour ça que même le pin blanc, qui n’est pas nutritif pour eux, ils vont finir par en manger », prévoit M. Fortier. « Je ne m’attends pas à perdre des arbres, mais certains vont se faire un peu grignoter. »

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Un chêne blanc, qui peut vivre jusqu’à 700 ans. Son bois est imperméable et ses noix sont comestibles.

Le chercheur prépare aussi un petit guide pour aider les propriétaires de terrains intéressés par la restauration en forêt laurentienne. « Pas besoin d’un derecho : un propriétaire peut faire une trouée dans son boisé, ou utiliser ses bordures de forêt, et faire la même chose. »

M. Fortier prêche par l’exemple. En plus de tester des variétés autour de sa maison (chêne blanc, noyer, tilleul d’Amérique, caryer cordiforme, etc.), il plante des chênes chez des voisins. Il organise aussi des corvées avec des amis pour transplanter des espèces intéressantes (chêne blanc, pin blanc, pin rouge, etc.) dans les fossés qui longent le parc linéaire Le p’tit train du Nord.

« Quand tu mets des protecteurs, il faut faire un suivi au moins une fois par an parce que les piquets vont bouger pendant l’hiver, la tête de l’arbre peut sortir par une des mailles, il faut replacer un petit bout de branche. La restauration, il faut vraiment que tu voies ça comme cultiver ton jardin. »

Sur la piste du derecho

  • Jean-François Boily, directeur général du secteur Dufresne

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    Jean-François Boily, directeur général du secteur Dufresne

  • Le bas de la piste de vélo de montagne baptisée Derecho, dans le parc régional de Val-David – Val-Morin

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    Le bas de la piste de vélo de montagne baptisée Derecho, dans le parc régional de Val-David – Val-Morin

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Le parc régional, qui avait le projet d’aménager un sentier de vélo de montagne, a vu une autre occasion à saisir dans le sillage destructeur du derecho. « On a carrément aménagé le sentier de vélo là où il est passé, dans le corridor au pied de la montagne. On n’a pratiquement pas eu à couper d’arbres », raconte le DG, Jean-François Boily. Le sentier a donc été baptisé Derecho, comme en témoigne l’enseigne posée sur la souche d’une énorme épinette blanche tombée sur son passage.

Consultez le site d’Écocorridors laurentiens.

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