Orages violents, forts vents, dégâts matériels importants : la tempête qui s’est abattue ces derniers jours sur le Québec a un nom. Il s’agit d’un derecho, soit un phénomène météorologique « plutôt rare » qui ne s’était pas produit depuis 1999 dans la province.

« Les marins appellent ça une ligne de grains. Essentiellement, un derecho, c’est une ligne d’orage violente qui se déplace très rapidement, et qui peut parcourir jusqu’à 1000 kilomètres en quelques heures. Au Québec, la dernière fois qu’on avait vu ça, c’est en 1999. Et c’était plutôt venu de l’ouest vers l’est », explique le météorologue chez Environnement Canada Samir Al-Alwani.

Peu connu du grand public, un « derecho » se forme surtout lorsque des masses d’air chaude et froide se rencontrent. « C’est un peu comme si on avait un front imaginaire, et que de chaque côté, il y a un air chaud et humide, puis frais et sec. En bon québécois, c’est un clash d’air », résume l’expert, qui précise que d’autres éléments, comme des vents forts en altitude, favorisent aussi la formation de ce phénomène.

« Au fond, c’est de l’air très froid qui vient du nord, avec de l’air très chaud et humide qui arrive du golfe du Mexique. Quand les deux se rencontrent, ça fait de la convection. C’est un peu comme une cocotte sur le poêle : ça bouillonne fort », illustre de son côté Jean-Pierre Blanchet, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Dans les prochaines années, avec les changements climatiques, il semble acquis que ce genre de débordement se produira plus souvent, disent les deux spécialistes.

C’est sûr que [la fréquence de ces évènements] va augmenter, parce que les quantités d’air plus froid et d’air plus chaud augmentent. Les gens ne réalisent pas que quand on parle de changements climatiques, ce n’est pas le réchauffement qui compte, mais bien surtout la variabilité, donc l’amplitude entre les bas et les hauts.

Jean-Pierre Blanchet, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM

« Les changements climatiques ont un rôle, c’est certain, qui pourrait jouer en augmentant la fréquence de ces évènements-là. En tout cas, on peut déjà constater qu’il y en a un peu plus », ajoute M. Al-Alwani. Si la dernière fois qu’un derecho s’était produit au Québec remonte à 1999, son incidence est nettement moins rare en Ontario, où on en voit environ « un par année », précise le météorologue.

Pourquoi Montréal a-t-il été épargné ?

Si, dans plusieurs régions, l’électricité a manqué et que les vents ont été destructeurs, l’île de Montréal, elle, n’a presque rien senti, à part un peu de pluie et des vents un peu plus forts qu’à la normale. C’est que la tempête s’est « séparée sur Montréal, comme on voit souvent, d’ailleurs », explique M. Blanchet.

« En fait, la région de Montréal est un peu protégée par la divergence qu’il y a dans les bas niveaux. Ça veut dire concrètement que la présence des rivières fait en sorte que quand le courant d’air vient du sud-ouest, l’air sort de Montréal. Ultimement, donc, quand les systèmes s’approchent de Montréal, ils vont souvent s’affaiblir », explique-t-il.

Samedi et dimanche, c’est donc précisément ce qui est arrivé à la ligne d’orage du derecho. « Elle s’est séparée. Une branche est partie vers les Laurentides, et l’autre en Montérégie. C’est pour ça qu’à Montréal, on n’a presque rien senti », poursuit l’enseignant et chercheur.

Les régions les plus touchées par les pannes, en date du 23 mai, étaient en effet les Laurentides, Lanaudière et l’Outaouais, avec chacune encore des dizaines de milliers de Québécois privés d’électricité au moment d’écrire ces lignes. La Sûreté du Québec n’y a toutefois rapporté aucun évènement majeur en lien avec les pannes.

Des rafales « destructrices »

Samedi, en fin d’après-midi, des vents forts ont été enregistrés à plusieurs endroits au Québec, notamment sur le lac Memphrémagog avec des rafales allant jusqu’à 151 km/h, à Trois-Rivières avec des pointes à 96 km/h et à Gatineau jusqu’à 90 km/h. En Ontario, des pointes de 132 km/h ont été enregistrées dans la région de Waterloo.

Des chiffres qui ne sont pas surprenants pour Samir Al-Alwani. « La caractéristique numéro un d’un derecho, c’est que le vent qui lui permet de se déplacer si rapidement, il est abattu directement vers le sol. Ça crée donc des rafales vraiment destructrices, comme on a vu dans plusieurs secteurs », dit-il.

« Ce qu’il faut faire pour combattre les changements climatiques, c’est d’arrêter de conduire son auto. C’est aussi simple que ça. Et il faut le faire non pas aujourd’hui, ni hier, mais bien avant-hier ! », glisse enfin le professeur Blanchet. « Si on s’arrêtait aujourd’hui, la température continuerait d’augmenter pendant encore une dizaine d’années. À un moment donné, il va falloir penser à une autre façon de vivre », conclut-il.