La principale institution de recherche québécoise sur la forêt n’a pas été invitée aux « Tables de réflexion sur l’avenir de la forêt » du gouvernement Legault, qui se sont par ailleurs tenues à peine plus de deux ans après une autre consultation gouvernementale sur le même sujet, dont le rapport se fait toujours attendre.

« Plus de 40 organismes nationaux étaient réunis à Québec afin de discuter de solutions entourant l’avenir de la forêt au Québec », a souligné le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) dans un communiqué publié jeudi, à l’issue de la « Rencontre nationale » tenue le jour même pour clôturer cet exercice de consultation.

Mais le Centre d’étude de la forêt (CEF), qui compte 80 chercheurs et chercheuses provenant de 11 universités québécoises, et dont la « mission centrale » est la recherche scientifique et la formation sur la forêt, n’était pas du nombre.

« Je ne peux que penser que c’est un oubli, mais un oubli qui ressemble à un oubli volontaire », a déclaré à La Presse le biologiste Pierre Drapeau, directeur du CEF de 2010 à 2022 et coauteur du mémoire que l’institution a tout de même rédigé dans le cadre de cette consultation.

Avec son éventail de scientifiques aux domaines de recherche pointus, le CEF aurait été en mesure d’apporter une contribution significative aux échanges, estime M. Drapeau, soulignant que l’invitation à des rencontres régionales de quelques professeurs rattachés au Centre, parlant à titre individuel de leur expertise respective, n’a pas la même portée.

L’absence du CEF a d’ailleurs été soulevée par d’autres participants à la « Rencontre nationale », qui ont estimé que la consultation était très axée sur l’exploitation forestière, au détriment des autres fonctions de la forêt.

« Les solutions mises de l’avant se concentrent vers une vision bien particulière où la forêt sert surtout à alimenter les usines de 2x4 », a notamment déploré Nature Québec dans une lettre ouverte publiée samedi dans La Presse.

En matière d’aménagement forestier, il faut que la priorité du gouvernement soit d’assurer la pérennité de la forêt, et non seulement la pérennité des volumes de bois pour les compagnies forestières.

Alice-Anne Simard et Mathieu Béland, respectivement directrice générale et analyste de Nature Québec

Québec avait en revanche convié à sa consultation l’Alliance Forêt boréale, un organisme composé d’élus municipaux dont une enquête de La Presse avait démontré la proximité avec l’industrie forestière et des pratiques soulevant des interrogations, il y a un an.

Consultation « très inclusive »

Les Tables de réflexion sur l’avenir de la forêt se voulaient une démarche « très inclusive » et le Centre d’étude de la forêt avait la possibilité de déposer un mémoire, a fait valoir dans une entrevue avec La Presse la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina.

« L’alimentation de la réflexion par la science était au cœur de la démarche, à travers la présence du forestier en chef », a-t-elle ajouté, évoquant aussi la participation de groupes écologistes et de différents chercheurs.

La consultation a permis de faire « un tour d’horizon très vaste [et on n’a] pas juste parlé de foresterie », a objecté la ministre aux critiques.

Oui, on a parlé de pérennité des arbres et de la forêt à la suite des feux, mais je rappelle que c’est beaucoup en lien avec une recommandation de notre forestier en chef […], qui nous a aussi demandé de faire cet exercice-là.

Maïté Blanchette Vézina, ministre des Ressources naturelles et des Forêts

Deuxième consultation sur le même sujet

La tenue des « Tables de réflexion sur la forêt » intervient un peu plus de deux ans après une « importante consultation publique » qui devait enrichir la Stratégie d’adaptation de la gestion et de l’aménagement des forêts aux changements climatiques.

Le rapport de cet exercice, tenu à l’automne 2021 également par le ministère responsable des Forêts, n’a toujours pas été rendu public, pas plus que la stratégie elle-même.

« Ça, c’est incroyable ! », s’exclame Pierre Drapeau, déplorant que le gouvernement ait « abandonné l’exercice », avant d’être rattrapé par les incendies catastrophiques de 2023.

Le Centre d’étude de la forêt avait aussi à cette occasion produit un mémoire, rédigé par 18 chercheurs et chercheuses, qui faisait 22 recommandations, restées lettre morte.

On n’a eu aucun retour, zéro puis une barre ! On a reçu un accusé de réception, that’s it.

Pierre Drapeau, directeur du Centre d’étude de la forêt

Une nouvelle consultation s’imposait, « au-delà de la vision et de la perception des changements climatiques et de l’effet que ça allait avoir [que nous avions] en 2021 », affirme la ministre Blanchette Vézina, invoquant l’ampleur des incendies de forêt de l’été 2023.

La consultation de 2021 « était beaucoup plus élaborée quant aux questions et thèmes abordés en lien avec les changements climatiques et leurs conséquences sur la gestion et l’aménagement du territoire forestier » que celle de 2024, plutôt « centrée sur la fonction de production de bois », rétorque Pierre Drapeau.

Le rapport sur la consultation de 2021 sera publié en juin, a précisé la ministre, ajoutant que la Stratégie d’adaptation de la gestion et de l’aménagement des forêts aux changements climatiques suivra « en temps et lieu ».

Publication imminente de la stratégie caribou

Québec n’attendra pas les conclusions de sa nouvelle consultation sur la forêt pour publier sa stratégie de protection et de rétablissement du caribou, reportée depuis des années, a assuré la ministre Maïté Blanchette Vézina. « Ce sont des démarches qu’on fait en parallèle », a-t-elle déclaré à La Presse, fermant la porte à des demandes d’attendre le fruit des Tables de réflexion sur l’avenir de la forêt pour aller de l’avant. « On est très enlignés pour arriver à déployer quelque chose prochainement », a indiqué la ministre, refusant d’avancer une date. Une source bien au fait du dossier, mais n’étant pas autorisée à en parler publiquement, a indiqué à La Presse que la stratégie doit être annoncée avant l’expiration de l’ultimatum donné par Ottawa, qui a sommé Québec de la présenter avant le 1er mai.

En savoir plus
  • 1,3 million
    Nombre d’hectares de forêt touchés par les incendies de 2023 au Québec, au total
    source : Centre d’étude de la forêt
    920 000
    Nombre d’hectares de forêt touchés par les incendies de 2023 au Québec, sous la limite nordique des forêts attribuables à l’industrie forestière
    source : Centre d’étude de la forêt