Le gouvernement Legault refuse de rendre publique l’analyse qu’il a faite des différents terrains pouvant accueillir le projet de méga-usine de batteries de Northvolt, un « manque de transparence » dénoncé par différents observateurs.

« Le Québec possède un seul lieu répondant aux cinq critères [de l’entreprise] : le site de Saint-Basile-le-Grand et McMasterville », en Montérégie, affirmait le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE) lors de séances d’information, en février, un argument maintes fois répété par le gouvernement.

Cette conclusion repose sur une analyse effectuée par la Direction des terrains et des infrastructures industriels, qui fait partie du Secteur des industries stratégiques et des projets économiques majeurs du MEIE, que La Presse a demandé à obtenir en invoquant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Le MEIE a confirmé dans sa réponse qu’il « détient des documents » relativement à la requête de La Presse.

« Toutefois, ceux-ci ne sont toutefois pas accessibles », affirme le courriel signé par le secrétaire général du ministère responsable de l’accès aux documents.

« Nous ne divulguerons pas de documents qui contiennent, en substance, des informations ayant des incidences sur l’économie et sur les décisions administratives », ajoute-t-il, invoquant six articles différents de la loi.

Doutes sur la justification

Ces arguments font sourciller l’avocat Merlin Voghel, du Centre québécois du droit de l’environnement.

« Ça m’apparaît galvauder la loi sur l’accès », a-t-il déclaré à La Presse.

« Je vois mal en quoi la disponibilité de terrains aurait une incidence sur l’économie du Québec », a-t-il illustré, ajoutant douter de la pertinence d’invoquer des articles de la loi portant sur la protection de secrets industriels, puisque c’est le gouvernement qui a fait la démarche.

La loi affirme que toute information est « disponible et accessible », à moins que l’on puisse faire la démonstration qu’une information entre dans les limites et les exceptions fixées, rappelle MVoghel.

Au regard des motifs allégués par le Ministère en réponse à votre demande d’accès, on peut douter qu’il s’agisse d’une application conforme de la loi sur l’accès. Bien entendu, il appartient à la Commission d’accès à l’information de se prononcer.

Me Merlin Voghel, du Centre québécois du droit de l’environnement

L’analyse que le ministère de Pierre Fitzgibbon refuse de divulguer contient possiblement des renseignements « fondamentaux pour s’assurer d’une application adéquate des règles à caractère environnemental », ajoute MVoghel.

La Loi sur la qualité de l’environnement oblige toute personne voulant détruire des milieux humides à faire la démonstration qu’il n’y avait pas d’autre site disponible dans la même municipalité régionale de comté (MRC), rappelle-t-il.

« Culture du secret »

L’analyse permettrait donc au public de savoir s’il y avait d’autres sites plus appropriés pour le projet de Northvolt, qui auraient requis de détruire moins de milieux humides, illustre Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales de l’organisation écologiste Équiterre.

« C’est comme si le gouvernement essayait volontairement d’entretenir une espèce de culture du secret autour de ce projet-là, alors qu’il n’y a pas de raison de le faire », déplore-t-il.

Ce refus s’explique d’autant plus mal que la population est favorable au projet, rappelle M. Viau, citant deux sondages récents sur la question, qui ont aussi montré une forte désapprobation de « la façon de procéder » du gouvernement1.

Le gouvernement Legault, qui ne cesse de rappeler sa fierté de développer la filière batterie, a tout intérêt à rendre ce document public, croit-il.

Si on est fier, on ne cache pas l’information. Si on est fier, on est ouvert et transparent.

Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre

Northvolt devra d’ailleurs faire la démonstration qu’il n’y avait pas d’autre site pouvant accueillir son projet afin d’obtenir les autorisations requises pour des travaux ayant un impact sur le chevalier cuivré, une espèce menacée, ajoute le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec).

« On a besoin de davantage de transparence dans ce dossier-là, d’autant plus qu’il n’y a pas [d’évaluation indépendante du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, ou BAPE] », dit-il.

Son organisation réitère sa recommandation de créer un registre public en ligne contenant tous les documents relatifs au projet.

« Il s’est fait de bonnes choses, des inventaires [des espèces présentes sur le site, des milieux humides, etc.], estime M. Branchaud. Ils ont tout avantage à rendre publique l’information. »

« Le processus légal d’accès à l’information a été suivi par le Ministère et le ministre n’est pas consulté », a déclaré l’attaché de presse de M. Fitzgibbon, Mathieu St-Amand.

Trois sites proposés

Québec a proposé trois sites à Northvolt, a indiqué l’entreprise à La Presse : celui qu’elle a choisi, en Montérégie ; un autre à Montréal-Est, qu’elle a jugé trop petit ; et un troisième à Baie-Comeau, sur la Côte-Nord, qu’elle a jugé trop loin d’un bassin de population suffisant. « On n’a pas étudié d’autres sites au Québec que ceux proposés par le Ministère », a déclaré Laurent Therrien, directeur des communications et des affaires publiques de Northvolt. L’entreprise cherchait un terrain d’au moins 170 hectares (1,7 kilomètre carré) en zone industrielle, ayant accès à un chemin de fer, où la capacité électrique était disponible à court terme, et situé dans un bassin de population d’au moins un million d’habitants, pour avoir accès à une main-d’œuvre suffisante.

1. Lisez « Méga-usine de Northvolt : 53 % des Québécois favorables au projet, selon un nouveau sondage »