La qualité de l’air risque de se détériorer fortement aux États-Unis dans les trois prochaines décennies en raison du réchauffement climatique et pourrait pousser des résidants des régions les plus touchées à déménager, souligne une nouvelle étude.

Les projections de First Street, une firme spécialisée dans l’évaluation des risques environnementaux, donnent un portait incomplet de la gravité de la situation à venir puisqu’elles sont basées sur des hypothèses « conservatrices », indique en entrevue avec La Presse l’un des responsables de la recherche, Jeremy Taylor.

Le modèle développé par la firme pour faire ses projections n’inclut notamment pas l’impact potentiel des incendies de forêt survenant du côté canadien, qui peuvent, dit-il, avoir une influence considérable sur la situation aux États-Unis.

Les incendies survenus au Québec en 2023 ont dégagé de la fumée qui a été transportée vers le sud par les courants aériens à plusieurs reprises, touchant de plein fouet le nord-est des États-Unis. La ville de New York a enregistré pendant quelques jours un indice de qualité de l’air parmi les plus catastrophiques de la planète, poussant de nombreux résidants à porter un masque ou à s’enfermer pour tenter de limiter leur exposition à des polluants.

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Vue de Manhattan lors d’un épisode de mauvaise qualité de l’air provoqué par la fumée des incendies de forêt au Canada, en juin 2023

Le scénario pourrait se répéter puisque les spécialistes prédisent une intensification des incendies de forêt du côté canadien.

Yan Boulanger, chercheur en écologie forestière rattaché au Service canadien des forêts, note que l’augmentation des températures et des conditions plus sèches découlant du réchauffement climatique va rendre la végétation beaucoup plus inflammable au pays.

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Le pont de Brooklyn et ses environs enveloppés par la fumée des incendies de forêt au Canada, en juin 2023

« Il faut se rappeler qu’en forêt boréale, chaque degré de température de plus triple la taille des feux », a indiqué par courriel le chercheur.

La durée de la « saison des incendies » devrait augmenter par ailleurs de plus d’un mois, potentiellement même de 50 jours, avant la fin du siècle, et la probabilité d’évènements extrêmes va s’accroître.

« Ainsi lorsqu’on met tout ça ensemble, les superficies brûlées au Canada d’ici 2100 devraient augmenter entre deux et quatre fois par rapport à la moyenne des 30 dernières années », a indiqué M. Boulanger.

L’ouest des États-Unis à risque

L’impact des incendies de forêt survenant au nord de la frontière est pris en compte dans l’analyse de First Street pour la période de 2000 à 2020 puisqu’elle repose sur les données réelles recueillies par les stations de l’Environmental Protection Agency qui captent les polluants dans l’air sans égard à leur provenance.

Durant cette période, le nombre de journées considérées comme problématiques selon l’Indice de qualité de l’air (IQA) est monté en flèche dans l’ouest du pays, qui est la zone la plus touchée.

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Le pont du Golden Gate disparaissant dans la fumée en septembre 2020. L’ouest des États-Unis, notamment la Californie, serait une des régions où la qualité de l’air va davantage se détériorer, selon les projections de First Street.

Le nombre de journées de code orange, durant lesquelles les personnes « sensibles » risquent de ressentir des effets sur leur santé, y a pratiquement été multiplié par six. Le nombre de journées rouge, pourpre ou marron, considérées comme « mauvaises pour la santé », « très malsaines » ou « dangereuses », a connu une augmentation similaire.

Le changement est important et suggère, selon M. Taylor, que les gains enregistrés pendant des décennies en matière de qualité de l’air grâce à l’introduction de mesures environnementales aux États-Unis sont en voie d’être partiellement effacés par l’effet du réchauffement climatique.

Pour évaluer la situation sur un horizon de 30 ans, les chercheurs de First Street ont cherché à prédire l’évolution de la concentration de particules fines de 2,5 micromètres ou moins, qui sont associées notamment aux incendies de forêt.

Ils ont aussi modélisé la production d’ozone à basse altitude, qui sera favorisée notamment, selon le rapport, par l’augmentation à venir de la température.

En combinant leur impact et en l’ajoutant aux émissions de base liées au transport et à l’activité industrielle, les chercheurs arrivent à la conclusion que le nombre d’Américains exposés à une qualité de l’air mauvaise pour la santé ou pire (code rouge, violet ou marron) va augmenter de 50 % d’ici 2050, passant de 83,1 millions à 125 millions.

Ce chiffre global cache des variations régionales importantes, puisque seuls 10 % des comtés du pays, soit 300, connaîtront des journées de ce type, selon les projections relevées.

L’Ouest sera encore une fois la région la plus touchée. Certains comtés, notamment en Californie, pourraient connaître jusqu’à une cinquantaine de journées en code rouge par année.

La détérioration de la qualité de l’air risque d’avoir un impact notable sur la santé des populations touchées, particulièrement dans les zones où le niveau d’exposition demeure élevé pour plusieurs jours de suite, voire pour des semaines, précise M. Taylor.

Le chercheur note que la baisse de qualité de vie découlant de cette évolution pourrait entraîner des déplacements de population non négligeables, les gens les plus affectés par la qualité de l’air choisissant de déménager vers des secteurs plus sains et potentiellement moins exposés à l’effet des incendies de forêt.