Dans un peu plus de cinq ans, soit au début de l’année 2029, le monde ne pourra probablement pas rester sous la limite de température convenue au niveau international pour le réchauffement de la planète s’il continue à brûler des combustibles fossiles au rythme actuel, prévient une nouvelle étude.

Cette étude rapproche de trois ans la date à laquelle la planète atteindra un seuil climatique critique, c’est-à-dire une augmentation de 1,5 degré Celsius depuis les années 1800.

Au-delà de cette augmentation de température, les risques de catastrophes augmentent, car la planète perdra probablement la plupart de ses récifs coralliens, une calotte glaciaire essentielle pourrait commencer à fondre de manière irréversible, et les pénuries d’eau, les vagues de chaleur et les décès dus à des conditions météorologiques extrêmes augmentent considérablement, selon un rapport scientifique antérieur des Nations unies.

Ce seuil sera atteint plus tôt que prévu, car le monde a progressé dans le nettoyage d’un autre type de pollution atmosphérique : de minuscules particules de fumée appelées aérosols. Selon l’auteur principal de l’étude, les aérosols refroidissent légèrement la planète et masquent les effets de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel. En d’autres termes, si la réduction de la pollution par les aérosols est une bonne chose, ce succès se traduit par une augmentation légèrement plus rapide des températures.

L’étude publiée lundi dans la revue Nature Climate Change calcule ce que l’on appelle le « budget carbone » restant, c’est-à-dire la quantité de combustibles fossiles que le monde peut brûler tout en ayant 50 % de chances de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius par rapport à l’ère préindustrielle. C’est le seuil fixé par l’accord de Paris de 2015.

Les dix dernières années ont déjà été en moyenne plus chaudes de 1,14 degré Celsius que le XIXe siècle. L’année dernière a été plus chaude de 1,26 degré Celsius et cette année devrait dépasser ce chiffre, selon les scientifiques.

La nouvelle étude fixe le budget carbone à 250 milliards de tonnes métriques. Le monde brûle un peu plus de 40 milliards de tonnes métriques par an (et cela continue d’augmenter), ce qui laisse encore six ans. Mais ces six années ont commencé en janvier 2023, selon l’étude, et il ne reste donc plus que cinq ans et quelques mois.

« Ce n’est pas que la lutte contre le changement climatique sera perdue au bout de six ans, mais je pense que si nous ne sommes pas déjà sur une trajectoire fortement descendante, il sera trop tard pour se battre pour cette limite de 1,5 degré », a expliqué l’auteur principal de l’étude, Robin Lamboll, qui est climatologue à l’Imperial College de Londres.

Un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies datant de 2021 et prévoyant un budget de 500 milliards de tonnes métriques indique que la limite de 1,5 degré devrait être atteinte à la mi-2032, a ajouté M. Lamboll. Une mise à jour effectuée par de nombreux auteurs du GIEC en juin dernier a abouti à un budget carbone identique à celui de l’équipe de M. Lamboll, mais l’analyse de ce dernier est plus détaillée, a estimé la coprésidente du rapport du GIEC et climatologue Valerie Masson-Delmotte.

Le plus grand changement entre le rapport de 2021 et les études de cette année est que les nouvelles recherches montrent des réductions plus importantes des émissions d’aérosols ― qui proviennent des incendies de forêt, des embruns marins, des volcans et de la combustion des combustibles fossiles ― qui conduisent à un air fuligineux qui refroidit légèrement la planète, masquant ainsi l’effet plus important des gaz à effet de serre. À mesure que le monde réduit ses émissions de carbone, il réduit également les aérosols refroidissants, et l’étude en tient davantage compte, tout comme les modifications apportées aux simulations informatiques, a déclaré M. Lamboll.

Même si le budget carbone semble s’épuiser au début de l’année 2029, cela ne signifie pas que le monde atteindra instantanément 1,5 degré de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle. Le changement de température réel pourrait se produire un peu plus tôt ou même une ou deux décennies plus tard, mais il se produira lorsque le budget sera épuisé, a précisé M. Lamboll.

Il ne faut pas croire que l’épuisement du budget pour 1,5 degré signifie qu’il ne reste plus que peu de temps pour arrêter le réchauffement de la planète, ont dit les auteurs. Selon leur étude, le budget carbone avec une chance sur deux de maintenir le réchauffement en dessous de 2 degrés Celsius est de 1220 milliards de tonnes métriques, ce qui représente environ 30 ans.

« Nous ne voulons pas que cela soit interprété comme six ans pour sauver la planète, a déclaré Christopher Smith, coauteur de l’étude et climatologue à l’université de Leeds. Si nous parvenons à limiter le réchauffement à 1,6, 1,65 ou 1,7 degré, c’est beaucoup mieux que 2 degrés. Nous devons encore nous battre pour chaque dixième de degré. »

Le climatologue Bill Hare, de Climate Action Tracker, qui surveille les efforts nationaux de réduction des émissions de carbone, a déclaré que « le dépassement de la limite de 1,5 degré ne précipite pas le monde dans le précipice, mais constitue un point d’inflexion dans l’augmentation du risque de changements catastrophiques ».

À l’approche des négociations sur le climat qui se tiendront à Dubaï le mois prochain, les dirigeants mondiaux continuent d’affirmer que « la limite de 1,5 degré est réalisable ». Selon M. Lamboll, limiter le réchauffement à 1,5 degré est techniquement possible, mais politiquement difficile et improbable.

« Nous sommes arrivés à un stade où le budget carbone de 1,5 °C est si faible qu’il perd presque tout son sens, a déploré le climatologue Glen Peters, de l’institut norvégien CICERO, qui n’a pas participé à la recherche. Si votre visage est sur le point de se heurter à un mur à une vitesse de 160 kilomètres/heure, il importe peu que votre nez soit actuellement à 1 ou 2 millimètres du mur… Nous sommes toujours dans la mauvaise direction à 160 kilomètres/heure. »

Les gens « ne devraient pas s’inquiéter, ils devraient agir », a lancé le climatologue Piers Forster de l’université de Leeds, qui ne faisait pas partie de l’équipe de M. Lamboll. Agir aussi vite que possible « peut réduire de moitié le taux de réchauffement au cours de cette décennie ».